[CHRONIQUE CD] JEFF HEALEY - MESS OF BLUES (2008)

MESS OF BLUES est donc le dernier opus du maître guitar-heroe Jeff HEALEY. Opus posthume car l'artiste est décédé cette année des suites d'un cancer de la rétine. Artiste non voyant, ce handicap rendra l'artiste encore plus pointu techniquement, un "don" de la musique. Avant tout artiste de Jazz, Jeff Healey fera une grosse apparition dans le film "RoadHouse" où il incarne son propre rôle, guitare sur les genoux dans un club malfamé. Après un premier opus excellent nommé " SEE THE LIGHT", l'artiste sort bon nombre d'albums à la qualité non constante malheureusement mais où de vraies perles musicales se dissipent ici et là. Quelques très bons albums de blues, on saluera l'immense talent de l'homme au manche de sa guitare.

Après une période ininterrompue de 4 années consacrées au Jazz, Jeff nous revient donc avec son ultime chef d'oeuvre blues.

Vous l'aurez sans doute compris, cet album est avant tout rempli de reprises musicales célèbres voir historiques. On y retrouvera ainsi Elvis Presley, Neil Young, Charles E Calhoun et consorts... Jusque là pas original me direz-vous sauf que ces superbes titres joués par Jeff HEALEY prennent une autre dimension immédiatement. Dès les premières notes, on comprend devant quel disque on se trouve. Du grand art ....

On attaque par un " I'm Torn Down " dé-mo-niaque joué en live. Les premières paroles de l'artiste laissent même un instant penser à un certain Eric Clapton... Mais non, il s'agit bien de Jeff et il assure le bougre. Des solos de guitare à faire palir mémé dans sa chaise roulante vous dis-je ! Un morceau blues-rock d'anthologie. Une précision, un rythme et une maîtrise de la guitare comme jamais .... ou plutôt dans un genre se rapprochant de son premier album précité " See The Light".

Vous l'aurez compris, on se trouve devant un disque assez énorme. Le morceau suivant débute, " How Blue Can You Get " est un blues authentique, pur jus dirais-je avec un jeu de guitare pleurante assez exceptionnel et aérien. Un orgue éléctromécanique Hammond renchéri de plus belle et on atteint des sommets. Une technique démente mais jamais surjouée, juste ce qu'il faut pour faire vibrer mon âme et me détacher du monde extérieur. Le morceau est exceptionnel et affiche une durée de 8 minutes 53 secondes sur le display de ma platine cd ! On se rapproche ici d'un BB KING. C'est suave voir érotique, c'est sublime !

" Sugar Sweet " continue la grande valse. Un autre rythme apparaît, plus rock, plus jam et ces solos de guitare maîtrisés sont tellement bons. A la sauce Gary Moore, Jeff nous envoie la claque avec sa guitare. C'est superbe. Ce morceau, issu de l'album de Muddy Waters déménage. On enchaîne avec un très bon " Jambalaya" à la sauce country rock. On nage ici dans les paroles " Bayou", chères à son auteur Hank Williams. Des fins de morceaux toujours closes aux solos guitare terribles.

S'en suit " The Weight ", une ballade country plus commune mais terriblement efficace. Ecrite en 1968, ce titre a été joué par Robbie Robertson, countryman injustement méconnu dont la version est remaniée ici par Jeff. Les deux artistes étant originaires de Toronto au Canada, un air de famille flotte sur ce morceau.

Le " Mess Of Blues " s'engage dans la course. Et là, c'est du tout bon. Un jeu qui respecte la ou les versions passées. La voix de Jeff qui me surprend de titre en titre. Il a vieilli et sa voix a mûri. Elle a bien mûri et je la trouve plus charmeuse que d'antan. Un solo piano à la sauce " Jerry Lee Lewis " alterne avec la guitare de Jeff. C'est bon, c'est efficace, mon pied tape, suit le rythme de ce morceau blues-rock dont l'orchestration accompagnatrice est au dessus de tout soupçon.

Pas le temps de respirer, de se remettre de ce petit rock, qu'on passe encore à la vitesse supérieure. Le piano et le rythme reprennent plus fort. " It's Only Money " est de la même trempe. Du " Jerry Lee Lewis " assurément. Le pianiste et chanteur sur ce morceau ( Dave Murphy ) envoie la purée ! Jeff Healey tient néanmoins à mettre la cerise sur le gâteau avec ses solos de guitare. Un morceau digne d'une bande son de musique de films d'Hollywood, un retour aux années 50-60, belles voitures Américaines: le top !

Il faut se calmer un peu. Jeff Healey est ses producteurs l'ont sûrement compris. On enchaîne avec une ballade "caractéristique" dans la structure même de sa conception, des ballades de disques de Jeff Healey. Une belle ballade " Like A Hurricane ", titre qui permet de découvrir le grain de voix de Jeff. Une interprétation plus personnelle selon moi et un touché de guitare " grésillante" du plus bel effet encore une fois. Un son ni blues, ni rock mais plus pop. On sent la touche " Neil Young " qui l'a reprise en 1977. Neil Young né aussi à Toronto, ça sent le big hommage à cette ville natale. Toujours ce solo final de guitare, propre, sans excès, complainte parfois violente mais techniquement impressionnante et tellement jouissive.

Retour Live brutal. " Sittin' On The Top Of The World " nous replonge soudainement dans le blues brut, dépouillé, sans fioriture aucune. On frôle presque la version semi-acoustique mais non. Un piano sublime, un rythme blues démoniaque, qu'est-ce que c'est bon ! Ce titre, écrit par Lonnie Chatmon a été repris sur scène également par Taj Mahal et Corey Harris dans une version encore plus " acoustique". Je le répète encore ici, un final guitare solo complétement dingue. Mémé vient d'être hospitalisée, nom d'une pipe !!! : 7 minutes et 7 secondes le morceau !

L'album arrive déjà à son dernier morceau. Que le temps passe vite. " Shake, Rattle And Roll " clos la galette en beauté. Livré dans une version blues-rock à la sauce Chicago, on tape à nouveau le rythme avec ses pieds. Un piano décidement omni-présent et terriblement efficace : Ca marche à tous les coups ! Il faut dire que le morceau fait parti de la culture musicale mondiale depuis des décennies. Né en 1941 sous la plume de " Charles E Calhoun " et maintes fois repris, on citera " Bill Haley And His Comets " , Les Chaussettes Noires côté France et bien d'autres .... Un rock 50' comme on les aime et si intemporel clos trop vite ce superbe cd.

In fine, il faut bien dire que ce disque nage dans les stratosphères de ce qui se fait de mieux dans ce répertoire musical. Alternant entre blues, blues-rock et rock dans plusieurs déclinaisons, on baigne dans le bonheur. Des interprétations jamais surjouées, une maîtrise totale, une orchestration bien huilée tels sont les ingrédients de cet ultime opus du maître Jeff. Pour moi, un réel retour aux racines de la musique vraie, un détour historique et un indéniable retour au top de ses réalisations passées. Bref, un, voir le meilleur opus de Healey qu'il n'a jamais sorti avec ce son " RoadHouse ".

Bon, comme vous le savez sûrement, j'aime tester les cd's et les sacd's pour leur qualité d'écoute mais aussi pour leur technicité intrinsèque. Le côté artistique m'a totalement emporté. Pourquoi, car la qualité globale d'enregistrement de ce disque est excellente. Les morceaux " Live " sont très bien captés, sans parasite, c'est du tout bon. Les instruments sont bien détachés, la séparation stéréophonique est marquée, la basse opère comme un métronome. Le niveau d'enregistrement est puissant, sans saturation. Bref, je ne m'attarde pas de ce côté là, un très très bon produit conforme aux réalisations modernes.

Merci Mister Jeff ! Un superbe détour musical varié, puissant mais raffiné, la classe d'un jeu de guitare aérien. Tout y passe, BB KING, Eric Clapton et d'un autre côté Jerry Lee Lewis, Bill Haley .... Une maîtrise technique proche sur scène d'un Luther Allison je dirai ... et je pèse mes mots.

Mais Jeff, pourquoi nous as-tu quitté en ce dimanche 2 mars 2008, juste avant la célébration de ce merveilleux album? Un album qui va compter dans toute discothèque qui se respecte avec un disque que je ne suis pas prêt de lâcher. Il tourne en boucle depuis ce matin.

Je vous laisse donc en compagnie de ce MESS OF BLUES, meilleur album de l'artiste pour cette période 2000 selon moi. Repose en paix Jeff !