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Koko Owens Blues

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Message par T.Jiel Sam 25 Mar 2017 - 9:22

Zut, je voulais vous mettre la carte du  périple des trois amis. Pour ceux qui comme moi sont nuls en géographie:

Koko Owens Blues - Page 3 Etats10

Koko Owens Blues - Page 3 Pyripl10
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Message par T.Jiel Ven 31 Mar 2017 - 20:56



Sur la Base de Tuskegee la fièvre guerrière était montée de plusieurs degrés. On la sentait dans l’air, dans les ateliers, sur les pistes, dans les mess, jusque dans les chambrées ! Le gouvernement américain avait lancé son programme de production de guerre qui allait enfin sortir l’économie du marasme dans lequel l’avait plongé la crise boursière de 29 et dont il ne s’était pas encore sorti. Les usines tournaient à plein, les marchands d’armes voyait un grand tapis rouge se dérouler sous leurs pieds au milieu d’un boulevard pavé de dollars. Les chercheurs débordaient d’énergie créative. Engins de toutes sortes, armes, munitions et navires sortaient à une vitesse de plus en plus effrénée des usines.
Nos trois amis étaient attendus à leurs postes respectifs. Jibé repris sa place dans les équipes de vols d’essais. Koko et Micky renfilèrent leurs bleus.
Le lieutenant Mc Dowell passa dans la matinée dans les ateliers et leur fit un clin d’oeil en les croisant, mais aucun mot ne fut échangé au sujet de l’incident de la veille.
Ce qui n’empêchait pas Micky de se ressasser l’histoire dans un coin de la tête. Il sentait encore les coups qu’il avait reçu alors qu’il était menotté sur cette chaise. Ce shérif n’était qu’une pute. Il passerait volontiers un moment avec lui entre quatre zyeux, mais les mains libres!
La production des avions Curtiss continuait de plus belle, chaque nouvelle génération amenant de nouvelles améliorations. Le duo Owens était particulièrement apprécié dans l’atelier Contrôles et Tests. Au retour des vols d’essais, les pilotes faisaient un rapport et bien souvent transmettaient aussi leur remarques directement aux gars du Contrôle. C’est ainsi que Micky pu se prendre la tête sur divers problèmes rencontrés par les pilotes en vol.
Et ça lui plaisait, on le sait, au Micky.
Koko, pendant ce temps, suivait toujours son cousin. C’est durant les derniers mois de 42 qu’il vécut un truc extraordinaire : Mc Dowell avait bien remarqué les problèmes de vue de Koko, et la gêne qu'il rencontrait quand il bossait. Efficacité, efficacité, l’état américain ne recula pas à la dépense, et après les examens nécessaires, Koko porta … ses premières lunettes ! Vous rigolez, hein. Mais mettez vous à sa place. Il avait une vue confuse depuis toujours. Au delà de cinq mètres il lui était difficile de discerner un visage. Imaginez le changement ! En réalité, il n’aurait jamais pu entrer dans l’Air Force avec une biglerie pareille sans la ténacité de Micky, qui avait imposé son cousin lorsqu’il avait été approché par l’armée chez son patron à New York!
Cela bouleversa le quotidien de Koko, croyez le. Depuis 27 ans qu’il traversait la vie en  mode brasse, jamais il n’avait appréhendé la « réalité » de cette façon. Socialement c’était assurément un plus. Il ne serait plus chambré là dessus et verrait à peu près et en même temps les mêmes choses que les autres. Mais comme il avait appris à décrypter les événements et les gens par delà leur apparence, on pourrait presque dire qu’il était dorénavant doté d’une double vue!
Dans la foulée il eut aussi l’occasion de passer sa licence de conduite automobile, qu’il obtint un peu avant Noël.
D’ailleurs et dans la même série, Micky passera en 43 entre les mains du dentiste de la Base, un peu avant son départ pour l’Europe en tant qu’instructeur, et se fera remplacer les dents pétées par les flics en 37 à Republic Steel. L’Etat américain avait pris, l’Etat américain rendrait !! Bon, c’était pas des dents en or, ok, mais ça changerait les choses quand même.
- Surtout pour les filles, hé, cousin !
Ce couillon fit un truc marrant en octobre. Un matin il prit lui même le manche pour un vol d’essai sur Curtiss afin de contrôler un problème de navigation, et il poussa à l’ouest en suivant la route. Il finit par repérer à vue le poste de police de Fort Deposit où il avait un peu souffert… Il fit plusieurs passages très bas, à frôler les toitures. Le vacarme fit sortir les mêmes flics, à qui il fit de loin un doigt d’honneur.
Au retour, pas besoin de vous dire : le Curtiss avait été identifié, le téléphone avait marché et un comité d’accueil l’attendit sur la piste ! Les gars de la Police Militaire, goguenards, lui mirent la mains sur le paletot. Il fut collé à l’ombre aussi sec.
En fait il n’y resta pas. Mc Dowell le sortit de là au bout de deux jours. Il n’y eut même pas de dossier instruit! C’est vrai que les pointures de la clé anglaise comme lui, il fallait les ménager. Et pour clore l’histoire, pour Mc Dowell, ce coup d’éclat revanchard avait quelque chose de plutôt plaisant.

C’est aussi durant l’hiver 42 /43 que Koko se prit d’intérêt pour l’une des inventions qui fit la gloire de l’armée américaine durant ce second conflit mondial: la Jeep Willys.

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Quelques mots à ce sujet : les militaires recherchaient un véhicule léger et peu cher à fabriquer. D’un cahier des charges datant de l’été 1940, était sortie la jeep ou « Pilou-Pilou ».

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C’était le second 4x4 jamais conçu depuis le début de l’histoire de l’automobile (les japonais avaient lancé le tout premier un peu avant). Deux essieux rigides montés sur lames, quatre cylindres en ligne, 60 chevaux, 3 vitesses. Elle consommait entre 10 et 15 litres d’essence et pouvait atteindre les 105 kms/h. Pare-brise rabattable et capote, 3 places assises ... voire plus...

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...elle était équipée dans son modèle standard d’une radio.
En réalité, un événement, une révolution !
Il en était arrivé tout un paquet de ces jeeps sur la Base, et les gars s’amusaient bien avec. Surtout ceux du service Contrôles et Tests. Micky et Koko passèrent deux semaines à en décrypter les performances. C’est d’ailleurs à la fin de cette période que Micky passa instructeur. C’est vrai qu’il fallait en vitesse former tellement de mécanos que les promotions pleuvaient sur les meilleurs.
Va savoir pourquoi et comment, toujours est il que Koko, aidé au début par son cousin, devint en quelques mois un spécialiste de la bestiole. Tu lui amenait une « Pilou » qui toussait ou qui hoquetait, et il te lui refaisait une santé sans traîner. Même Micky en fut surpris :
- Hey cousin, mais tu te démerdes là !
Ce fut d’abord un jeu entre eux, puis Koko devint de plus en plus autonome s’agissant d’expertise puis de procédure. Il flairait rapidement les failles. Au point que lorsque la nouvelle se répandit, on lui amenait celles qui posaient un problème sans réponse. Ça devint un jeu dans tout l’atelier.
Pour Koko aussi c’était une découverte. Bien sûr, depuis qu’il portait ces sacrées lunettes, tout était plus net. Mais y avait autre chose. Il sentait qu’il était à sa place, là, et qu’il avait un truc à jouer. Et il la sentait bien cette petite bagnole rudimentaire et marrante.

Bon. Vous voyez, tout s’emballait, le temps comme le reste. Les semaines passaient à toute vitesse. Il y avait quelque chose d’haletant à participer à toute cette folie. Difficile cependant de garder l’esprit clair. Du coup, Koko se tenait toujours légèrement en retrait de toute cette agitation. Si certains soirs, au mess du personnel de couleur, sa guitare attirait comme des mouches sur un pot de miel tous les copains autour de lui, il lui arrivait aussi d’autres soirs de disparaître et d’aller arpenter seul les pistes balayées par le vent, mains dans les poches et col relevé. Il longeait les grands hangars et passait entre les pattes des énormes silhouettes immobiles des avions. Les gars de garde s’étaient habitués à ce type silencieux qui déambulait parfois ainsi la nuit pendant des heures.

La fin de l’année approchait. Pas de sorties, pas de permissions.
Durant les fêtes, Koko eut le plaisir de revoir Sonny (Saunders) Terry et Brownie Mc Ghee. Ils vinrent finalement animer une soirée au mess des Colored People entre Noël et le Jour de l’an.



Tous les Blacks libres de la Base ce soir là étaient venus, et ça en faisait, et aussi toutes les filles qui bossaient dans les cuisines et à l’entretien. C’est que Sonny et Brownie était des célébrités ! Bon, on était plus chez Paul Jingle, bien qu’il y eut un peu de bière. Mais après tout, les clochettes ne font pas tout. Ce fut une jolie soirée. Les deux musiciens furent infatigables, l’ambiance bonne, les gens ravis. Ça dansa et tourna jusque tard. A la fin ne restaient que Saunders et Koko. Micky était sorti avec une fille qui bossait au mess des officiers et qu’il lorgnait depuis plusieurs semaines. C’est pas croyable, ce Micky, mais comment faisait il pour plaire à ce point aux femmes (d’autant qu’il n’avait pas encore ses nouvelles dents!!) ??
Et c’est donc durant cette même nuit que Sonny apprit à Koko, pour Lucy.
- Celle que tu connaissais, là, Lucy Mae, elle chantait avec un Blanc… Koko prêta l’oreille. Elle s’est fait plantée à Chicago le mois dernier... Koko le fixa. Quoi, comment, que veux tu dire ...?
Son musicien Blanc avait été mobilisé. Du coup elle avait repris du boulot chez les ritals, à l’Hawthorne, où elle chantait trois soirs par semaine. Une soirée chaude comme il s’en faisait là bas et qui aurait mal tourné ? Saunders ne savait pas. Elle avait été retrouvée au matin en bas d’une cage d’escalier dans le quartier. Tuée à coups de couteau. Les flics n’avaient rien trouvé. En fait ils n’avaient rien cherché.
En racontant ça à Koko, Saunders savait qu’il allait sérieusement amocher son ami. Mais quoi, à un ami, on dit les choses, non ? Koko d’abord ne dit rien, puis il se leva et sortit. Saunders le suivit. Ils n’allèrent pas loin, vous vous souvenez que Saunders n’y voyait rien. Ils s’assirent sur un banc devant le mess. Le ciel était dégagé, et dessous, la Base était silencieuse.
Long moment de silence entre les deux amis. Puis Sonny demanda à Koko de lui décrire le ciel, les étoiles. Koko lui dit le ciel et les étoiles. Puis il lui demanda de lui dire les avions, les pistes et les hangars, la vie ici. Koko lui raconta Tuskegee. Sonny lui demanda ce que ça faisait de porter des lunettes. Koko lui raconta les lunettes…
Puis au bout d’un moment, Koko se retourna vers son ami. Il l’étreignit et pleura.

Les fêtes de fin d’année de 1942 , bon, on peut comprendre, ce fut un peu triste, pour Koko.
Tout savoir sur la « Jeep Willys » :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Willys_MB
http://www.autotitre.com/fiche-technique/Jeep/MB
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Message par T.Jiel Jeu 6 Avr 2017 - 22:30

Ce fut quand même un gros morceau à avaler pour Koko. La nouvelle de la mort brutale de sa Lucy le secoua bien profond. Il aurait manifestement des comptes à devoir régler tôt ou tard, n’est ce pas, avec lui même. Les premières heures, il resta interdit, comme on dit.
Mais le plus sage était de ne pas repousser les choses au lendemain. Aussi … tomba t-il malade !
Le surlendemain de cette fameuse soiré, la fièvre commença à bien le serrer dans ses pinces d’acier.



Les attentions de ses deux compagnons de chambre n’y changèrent rien. Il devrait se la taper tout seul, cette route là, le Koko ! La fièvre monta, gentiment au début, puis plus sévèrement le troisième jour. Il dut alors garder le lit. Micky et Jibé le veillèrent comme ils purent, selon les dispositions du service. Jibé lui faisait avaler à intervalles réguliers quelque remède de cheval à sa façon. Il y eut un peu d’inquiétude le quatrième jour, au moment du pic de montée de fièvre. 41.7°, c’était chaud ! Pour Koko ce fut un voyage onirique temps distendu un peu délirant, balisé par les montées de fièvre et les retours sur des séquences folles de déjà vu. Visions, dialogues et impressions alternaient avec des temps de sommeil haché et plombé...

Ronde des visages, des regards et des mains entre ses tempes qui battaient comme des peaux de tambours. Peggy, cette fille de New Orleans, le prit un moment dans ses bras comme on prend un enfant, et le souleva en le berçant tout en lui murmurant des mots pleins de douceur. Une rivière tranquille un jour d’été bien chaud. On s’y immerge et on ne fait pas la différence entre dehors et dedans.
- Oh mon amour, lui chuchotait elle en tendant vers lui ses mains ensanglantées, j’ai mal ! Puis ses mains serraient son ventre. Ce ventre qui l’avait conduit, lui, à la vie. Le ventre d’elle. Sang rouge vif et sable noir. Et il faisait si froid dans cette cage d’escalier sordide.
- Tu devrais l’oublier, au fond c’est elle qui a voulu partir...
Ces ritals étaient des salopards finis. Tout ces fils de pute de petits Blancs pleins de fric, camés jusqu’aux yeux, des crapules qu’il aurait volontiers étranglé. Mais le sang rendait tout glissant et poisseux…
- Mmmmh, ta peau est douce, bébé…, prends moi, prends moi maintenant... Une lumière qui clignote, et au loin, confuse, la voix de Big Joe et le son de sa guitare…, "Baby please don’t go"…
La voix déformée d’Horatio Mc Dowell : « Fiston, tu prendras bien un peu de maïs avec ton père, non ? »…
- Dis, Koko, tu m’emmènes avec toi ?, (c’était sa petite sœur Lulu, celle qu’il préférait), ou bien c’est moi qui t’emmène dans mon pays…
Et ce putain de champs d'coton qui n'en finissait pas.
- Vas y, dis moi les étoiles et le ciel de Tuskegee…
Images, visages et émotions défilaient comme les wagons d’un train de marchandises qu’on regarde passer à toute vitesse, depuis le bord de la route. Koko dérouillait. Koko faisait le ménage.
La fièvre ça nettoie, hein, et c’est violent.
Et ce front qui ruisselle, juste de l’eau et puis du sel.  
Elle parvint à la fin par redescendre, cette putain de fièvre. Les remèdes de Jibé ? Ou bien le bout du tunnel ?
C’est une main tendue et un visage qui prit tour à tour les traits de Peggy et de Mama Owens qui le firent sortir du labyrinthe dans lequel il avait erré pendant près de six jours.
Le septième matin la lumière du pâle soleil de janvier traversa ses paupières fatiguées. Il ouvrit les yeux. Il se redressa et posa les pieds sur le sol de la chambre. Dans le lit chahuté le corps de Lucy, transparent comme du verre, fondait entre les plis des draps.
De l’eau et puis du sel.
Sa barbe le démangeait, il avait tellement soif, et surtout il avait faim. Micky poussa un long soupir :
- Hé, cousin, tu nous foutu une de ces trouilles là !
Le regard chaleureux de Jibé, et la face hilare et édentée de Micky. Contre le mur, adossée, la National renvoyait ses harmoniques en écho aux éclats des voix.
Koko remontait à la surface des choses.
Sa Lucy ne serait plus jamais là, elle avait définitivement quitté son monde.


Dernière édition par T.Jiel le Ven 7 Avr 2017 - 21:32, édité 2 fois
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Message par Phil cotton color Ven 7 Avr 2017 - 16:12

Superbe ton chapitre d'hier TJ ! cheers
Sincèrement, bravo ! Koko Owens Blues - Page 3 809831
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Message par T.Jiel Ven 7 Avr 2017 - 17:24

Wink
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Message par T.Jiel Jeu 13 Avr 2017 - 21:04

Un mot au sujet de cette fichue base de Tuskegee. Elle a laissé son nom parce que c’est le seul endroit où des Noirs, parce qu’il étaient Noirs, purent s’illustrer dans l’US Army durant le second conflit mondial. Attention, ne vous faites pas un conte de fée avec de braves nègres à qui on avait appris le maniement d’avions de guerre pour combattre les forces malfaisantes qui torturaient la planète ces années là. Non. Créer une unité exclusivement composée de combattants de couleurs fut un réel sacerdoce ! Le War Department fit plus que traîner des pieds avant d’accepter cette réalité que des nègres pouvaient se battre comme des Blancs !

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L’administration américaine tenta en fait de s’opposer à cette idée. Du coup la barre fut mise assez haute, et ces pilotes avaient été sévèrement sélectionnés : études supérieures et pratique confirmée du vol préalables étaient requis. Autant dire qu’on n’avait pas à faire aux premiers couillons venus. C’était la crème Black du moment qui était réquisitionnée. Koko et Micky parmi eux n’étaient que de pauvres bouseux tout juste sortis de leur Mississipi natal. Après, bien sûr, quand je dis que l’ambiance était bonne, c’est vrai. Après, aussi, ces foutues barrières de classe se faisaient toujours sentir à un moment ou à un autre. Koko et son cousin n’étaient pas dupes.
Mais passons !
Je parlais de fièvre guerrière, il se préparait même du chambard…  C’est curieux, mais c’est durant la semaine durant laquelle Koko régla ses affaires de cœur que la nouvelle s’était répandue. La phase d’entraînement touchait à sa fin. Le 99ème Escadron de Poursuite auquel Koko et Micky étaient rattachés se préparait à lever le camp au printemps 43 pour rejoindre les théâtres d’opérations, comme disent les militaires dans leur langage fleuri.
Direction l’Afrique du Nord.
En fait, fin 42, Hitler se prenait ses premières raclées par là bas, et dans la foulée, les alliés y avaient débarqué. Ensuite, l’idée était de prendre la Sicile afin d’avoir la maîtrise du trafic maritime en Méditerranée. C’est sur cette opération en particulier que les Tuskegee Airmen furent sollicités en premier lieu. Bien sûr, je fais mon historien savant, là, mais les gars dans la base étaient loin eux aussi de suivre les subtilités du jeu d’échec qui se tenait entre les « grands ». Ils suivaient tous les nouvelles le pif collé sur la vitre. Et c’est pas les informations officielles diffusées par  les radios qui permettaient d’y voir clair !
Ce 99th Pursuit Squadron était commandé par le lieutenant colonel Benjamin Oliver Davis Jr, qui deviendra par ailleurs, et bien plus tard, le premier général Noir de l’US Army.

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Beau gosse, le Benjamin, non?

Voilà comment a commencé la légende des Tuskegee Airmen et de leurs Red Tails.
Et pas autrement.






Evidemment il fallait les mécanos pour aller avec, et les meilleurs. Micky suivit donc le mouvement. Et Koko ? Vous vous dites qu’il serait forcément du voyage avec son cousin ?
Perdu ! Micky, oui, mais pas Koko !!! Je vous dirai pourquoi plus loin.

En fait, au départ, Koko devait en être.
- Ouah, cousin, tu t’rends compte, l’Afrique, c’est nos frères !!!
Mais Koko était encore resté branché mode « je me retape gentiment, ne m’secouez pas trop les amis », c’est dire si la douce voix des sirènes du voyage le laissaient indifférent.
En fait il s’en foutait. L’Afrique du Nord ? La guerre ? Son Afrique du Nord à lui, sa guerre à lui, il s’en remettait à peine. Alors le reste ...
- Voyage tous frais payés mon frère, on aura des trucs à raconter en rentrant, non ?

Courant mars, le 99th Pursuit Squadron, dont Koko, Micky et Jibé, quittait définitivement Tuskegee sous le commandement de Benjamin Oliver Davis. Il fallait du reste laisser la place à une nouvelle génération de candidats pour la voltige aérienne, qu’Horatio Mc Dowell attendait de pied ferme. Destination : Westover Field, Springfiel, Massachussets, une immense base aérienne située au Nord-Est de New York. Personnels et marchandises s’y croisaient alors par miliers d’hommes et de tonnes avant le grand départ vers l’Est, au delà de l’Atlantique.

Koko Owens Blues - Page 3 Westov10


C’est une fois à Westover que les choses s’éclaircirent pour Koko, les événements décidant une fois de plus pour lui. Oliver Davis le convoqua quelques jours après leur arrivée, et l’accueillit avec une chaleureuse poignée de main. Se tenait près de lui ce général qu’il avait rencontré à New York dans le garage où bossait Micky, et à partir duquel toute cette histoire avait commencé.
- Vous vous connaissez, je crois ?, dit Davis.
Oui, Koko se souvenait.
- Charlie, j’ai un truc à te proposer. Le Général Colour s’apprête à prendre un poste à Londres. Il lui faut un bon chauffeur qui se débrouille en mécanique. Le Général pensait à Micky, mais on a trop besoin de lui dans l’unité...
Koko attendait. Hochements de tête pour dire qu’il suivait le fil du truc, sans trop bien piger où Davis voulait en venir. Celui ci se tut et le fixa un moment.
- On m’a dit que tu es devenu un as de la Wyllis…
Ça y est, Koko avait pigé. La sueur commençait à perler, il remonta ses lunettes qui glissaient sur son nez.
- Tu as obtenu ta licence de conduite…
Silence à nouveau dans la pièce. Juste le cliquetis, derrière une porte, de deux ou trois Remington.
- Je ne te dis pas, c’est tout bon pour toi, un truc comme ça...
La casquette étoilée ne disait rien mais fixait intensément Koko.
- Bien mon lieutenant, fit Koko sans plus de commentaire.
Davis appela. L’une des Remington se tut et une jeune femme entra.
- Apportez moi l’ordre de route de Charlie Owens. Elle revint en tenant une feuille de papier qu’elle remis à Davis. Il le signa et le tendit à Koko en lui faisant un clin d’oeil.
- Changement d’unité ! Te voilà promu ordonnance auprès du Général Colour ! Nouvelle poignée de mains. Bonne chance !
- Mon ami, fit Colour, nous embarquons dans six jours pour l’Angleterre, avec l’aide de Dieu. D’ici là tu as quartier libre, mais tu es prié de rester sur la base. Je vais avoir besoin de toi.

L’affaire était dans l’sac, comme on dit. Koko, sortit de là un peu sonné. Ce bout de papier, ni plus ni moins qu’un ticket pour la vieille Europe. Il ne savait pas vraiment s’il devait s’en réjouir...

Pour les amateurs de sensations fortes, un film est sorti en 2012 au sujet des Red Tails, que je n’ai pas vu.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Red_Tails
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Message par T.Jiel Jeu 20 Avr 2017 - 19:45

Koko ne fut pas le seul du reste à quitter le 99th Pursuit Squadron. Jibé fut lui aussi et dans le même temps muté en Angleterre. La Royal Air Force manquait terriblement de pilotes là bas, vu qu’elle en faisait une grande consommation ! Et puis, hein, un pilote Blanc dans une unité noire, ça ne collait pas. Fallait tout de même pas tout mélanger. Sans aller jusqu’au fait que Jean Bernard Van Huitte non seulement était Blanc, mais belge en plus !
Lorsque les trois amis se retrouvèrent, après le premier moment de stupéfaction, c’est Micky qui fit basculer les interrogations du bon côté.
- Hé mais cousin, c’est super ça, pour toi ! Dis donc, il faut que je te briefe sur deux ou trois trucs quand même, avant ton départ, lui dit-il le regard pétillant.
Koko prêta l’oreille.
- Ecoute, Charlie, si on te présente un truc qui ne marche pas, tu commences par dire : « faut voir ». C’est tout. Après tu vois, hein, et si tu ne t’en sors pas, écoute, on est pas magiciens, non ? Alors tu dis : c’est pas possible, faut changer les pièces !
- Mouais, c’est un peu léger, là. Imagine que ce Général Colour me resserve sa Pontiac qui tousse, qu’est ce que je fais ?
- Nan, cousin, tu n’y est pas. On est en guerre, non ? Alors quand on est en guerre, la Pontiac, elle passe après. La Pontiac elle déconne ?, pas de problème mec, tu prends une Jeep ! Ecoute, mec, ton boulot ce sera de conduire ce vieux Blanc où il voudra aller et au besoin de refaire une santé à sa Jeep. Le reste, tu t’en fout, c’est pas ton problème…
- Oui mais…et bla et bla.
Jibé pendant ce temps se marrait. Ils étaient impayables, ces deux là. Surtout le Koko. Bon sang, il les regretterait. Va savoir où tout ce bazar les mènerait tous. En tout cas, il aura vécu de sacrés moments aux côtés des deux cousins Owens.
C’était impossible de rassurer complètement Koko, et pour cause ! Et puis faut bien admettre par ailleurs qu’il était difficile de discuter avec l’optimisme forcené de Micky, même si on peut dire qu’en général cela lui avait plutôt bien réussi jusqu’ici. Aussi que Koko avait des raisons de s’inquiéter, vu qu’à part son histoire d’amour avec les jeeps, il restait un mécano plutôt moyen.
Toujours est-il que l’échange se clôtura par une Budweiser bien fraîche et un peu de musique.



Je ne suis pas trop revenu là dessus, mais Koko se débrouillait bien à présent avec sa gratte. Basse continue façon Big Joe ou picking à la Blind Willie Mc Tell, la National sonnait bien. Son jeu était assuré et bien en place. Rien de spectaculaire ni de très technique, mais puissant quand même. Il te posait là dessus une voix claire et sans fioritures. La sienne. Pour finir, comme il parvenait en chantant à improviser avec brio des histoires parfois drôles, d’autres fois moins, les siennes, son Blues avait de l’allure et surtout te prenait bien le bide. Il allait aussi parfois sur un répertoire plus « blanc » en reprenant des mélodies de chansons traditionnelles.
Micky le lendemain « briefa » donc son cousin sur la Jeep personnelle du Général Colour. Va savoir pourquoi, il pensait que cette bagnole serait promise à un grand avenir pour Koko. Ils passèrent une journée entière à en reprendre les faiblesses en atelier. Ils en décortiquèrent aussi la radio, ce qui fut bien utile par la suite à Koko.

Koko Owens Blues - Page 3 Jeep_111

Ils purent aussi y apporter quelques modifications. En particulier s’agissant des suspensions, un peu rustiques. Ils ajoutèrent deux lames de plus à l’avant, et Micky dégotta deux fauteuils de Pontiac en cuir qu’il adapta sur le plancher. Un carrosse ! Une Rolls ! Le Général Phillip Colour en fut d’ailleurs ébloui, et conquis par le savoir faire de son nouveau chauffeur.
Là c’est Micky qui s’en amusa.
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Message par T.Jiel Jeu 27 Avr 2017 - 13:18

Quelques mots au sujet du Général Colour, vu que Koko va passer un certain temps à ses côtés.
Phillip Coton Colour avait 62 ans. C’était donc un type de la vieille école qui avait gagné ses premiers galons en France en 1918 lors de la seconde bataille de la Marne. Depuis lors, plus organisateur que stratège, il avait continué une carrière plutôt tranquille et s’était spécialisé dans la gestion des matériels. En particulier le confort du soldat de liaison. Aussi brassait-il de tout dans le domaine des communications. Depuis les téléphones de campagne aux rations K, en passant par les véhicules de toutes sortes jusqu’aux chaussettes.
C’était un homme plutôt affable, dont la grande passion dans la vie après Dieu et Mme Colour, était le jardinage.
Le whisky aussi, et les cigares cubains.



Il demanda à Koko de le conduire chez lui, afin de faire ses adieux à son épouse. Ils habitaient un peu avant New York, soit près de 600 bornes aller et retour !
- On prendra la Jeep, Charlie, avec l’aide de Dieu. Parce que voyez vous, une fois en Angleterre, il faudra bien faire avec. Comme ça, nous  pourrons la tester. Avec l’aide de Dieu.
- Bien mon Général. Koko fut tenté d’ajouter « avec l’aide de Dieu » mais se retint.
Ils partirent en début d’après midi. La journée était belle, Phillip Colour, aux anges, s’était enfoncé dans son fauteuil.
Koko conduisait tranquillement. Il avait vite pris plaisir au jeu de la conduite.
- Vous croyez en Dieu, Michael ?
- …
- Oui bien sûr, vous autres Noirs vous êtes tous croyants.
- …
- Dites donc, mon ami, vous n’êtes pas bien bavard.
- Non mon Général.
- Oh après tout j’aime ça. On dit tellement de bêtises, n’est ce pas ? Et c’est un péché, de parler à tort et à travers. Je le répète souvent à Madame Colour qui est un peu bavarde…

Phillip Colour était intarissable comme un oiseau au printemps. Il ne pouvait s’empêcher de pépier, sauf que lui c’était toute l’année. Se retrouver sur la route par cette belle journée le remplissait d’aise, et la perspective de revoir sa femme, sa maison et son jardin ajoutait à son bonheur.
Il tripota un long moment la radio et finit par trouver une émission du Service des Armées qui diffusait de l’opéra. Il sortit alors un cigare qu’il alluma.
« Excellente idée, ces fauteuils, mon ami. Mes vieux reins apprécient! » Au bout d’un moment il chanta en choeur la tirade avec le ténor.
Koko se faisait une vague idée du rôle d’ordonnance auprès d’un officier supérieur, mais ça promettait ! Ce Colour était un peu original. Mais pour l’heure, il se tenait à carreau. La proximité de cet officier supérieur lui en imposait. Et puis aussi c’était la première fois qu’il conduisait sur une si longue distance.

La cavalerie des soixante chevaux fit bon ménage sous le capot et se comporta au mieux tout au long des cinq heures de route. Ils arrivèrent chez les Colour en fin d’après midi, le dos un peu cassé quand même. Située sur la côte au dessous de New Rochelle, la maison des Colour était une grande bâtisse XIXème entourée d’un parc, avec une vue exceptionnelle sur Long Island. Très classe !
Koko fut conduit jusqu’à une petite chambre préparée pour lui. Il soupa le soir en compagnie de la cuisinière Noire.
Non, les Colour n’était pas de mauvais patrons, et elle en avait connu plus d’un ! Bien sûr, le salaire n’était pas très élevé, mais quand même plus que ce qui se pratiquait ailleurs. Mme Colour la laissait tranquille et lui faisait à priori confiance pour tout ce qui touchait son domaine, c’est à dire la cuisine, le linge de maison et les courses courantes. Le ménage, non, il y avait quelqu’un pour ça. Quant au général, toujours poli et même attentionné. En dehors de ses accès de colère. Là il valait mieux faire profil bas et attendre que ça se passe. Mais ça ne durait jamais longtemps.
Et Koko ce soir là dormit comme un loir.
Le lendemain matin, Mme Colour le prit à part. Pourrait-il veiller spécialement sur le Général, celui-ci était vraiment tête en l’air. Faire attention à ce qu’il ne prenne pas froid, il est tellement fragile des bronches, allait il à la messe, ha non, au culte protestant parfois, ah mais on a le même Dieu n’est ce pas, s’adonnait-il aux alcools forts comme ce sacré whisky, ha bah très bien, hein, au moins son mari ne trouverait pas en son nouvel ordonnance un compagnon de beuverie comme le précédent, cet irlandais qui avait vraiment une mauvaise influence sur lui, ha mais oui Koko lui inspirait vraiment confiance... etc.
Mme Colour était donc inquiète. Koko, la rassura du mieux qu’il put. C’est à dire moins qu’à moitié.
Dans la matinée il fit le tour de la voiture, huile, eau, pneus…, tout était parfait. Un peu de nettoyage aussi. Bon, on est d’accord, il n’y avait pas de chromes à faire briller ni de peinture laquée à lustrer, à part ce vert armée mat. Mais bon, il y a propreté et propreté !
Il aida à charger une énorme malle et deux valises. Le départ pour Westover se fit après le déjeuner et les adieux.
Au bout de quelques kms de route, Phillip Colour s’écria :
- Hé, mais j’ai oublié le pousse café, arrêtons nous, mon garçon !
Il descendit, ouvrit la plus petite des valises et en sortit un étui en cuir qu’il ouvrit. A l’intérieur, une mallette marquetée de palissandre, bois de rose et ivoire.
- Ceci appartenait à mon père, voyez vous, et j’y tiens comme à la prunelle des yeux de Mme Colour.
Il sortit une petite clé de l’une de ses poches et ouvrit le couvercle. A l’intérieur, une flasque et quatre petits gobelets en argent ciselé. Il en sortit deux qu’il remplit. Puis il se tourna vers Koko et dit en le regardant dans les yeux :
- Tenez, Charlie, à l’avenir !
Du Whisky, et pas celui de chez Gus. Une gorgée et tu fais un voyage.
- Alors ?
Koko réfléchit un moment, et répondit avec un grand sourire :
- Wouah, mon Général, une gorgée, et c’est un voyage !
Les yeux de Colour pétillèrent.
- Je crois qu’on va s’entendre, mon ami.
Six cent bornes en deux jours dans ce genre de bagnole, faut quand même avoir les reins bien accrochés, même dans des fauteuils de Pontiac. Mais le dos de Phillip Colour supporta très bien l’épreuve finalement.
D’autant mieux qu’il avait un truc, hein :  cette mallette !


Arte propose encore pour quelques jours en replay un docu sur la question raciale aux USA que je conseille à mon tour. Son Eminence Papa François en a fait une très bonne rubrique sur le forum par ici :

http://www.aupaysdublues.com/t8102-video-blues#192199

Et je remets le lien pour le replay:

http://www.arte.tv/fr/videos/051638-000-A/je-ne-suis-pas-votre-negre

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Message par T.Jiel Mer 3 Mai 2017 - 19:42

Hello.
J'ai pris un peu d'avance avec ce machin qui n'en finit pas de prendre du bide dans mon ordi. D'un autre côté, je ne voudrais pas vous mener en bateau indéfiniment, n'est ce pas? Je me propose de finir l'histoire de Koko Owens avant l'été. Une livraison par semaine, il en resterait donc 8.
Je vois que chaque semaine il y a autour de 140 clics sur les nouveaux épisodes. C'est marrant la quantité de gens qui consomment sur le forum mais ne laissent pas de traces. Non, allez, je ne suis pas dupe. Je suis sûr que vous êtes un tas à revenir sur les épisodes en plusieurs fois, pressés que vous êtes par le temps, hein.
Bon. Vos commentaires et encouragements sont toujours les bienvenus direct sur le topic ou en MP.
Alors, vu l'actualité ces temps ci, je voudrais préciser que Koko Owens Blues est destiné à toutes et tous, y compris les bras cassés, les SDF, les couillons, les putes borgnes et les gens qui votent FN.
Cette fois ci je vais vous bailler deux épisodes d'un coup, vu que ça déborde un peu ici. Je parlais de vous emmener en bateau, alors allons y :


Dernière édition par T.Jiel le Mer 3 Mai 2017 - 20:06, édité 1 fois
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Message par T.Jiel Mer 3 Mai 2017 - 19:54

On y était, l’heure des départs approchait. Les trois amis ne se voyèrent plus trop les derniers jours. Les premiers à quitter Westover Field et le continent américain furent Koko et Jean-Bernard. La veille, ce fut une fête un peu mitigée. Quelques bières, un peu de musique…Le coeur n’y était pas, comme on dit. Rendez vous cependant fut pris pour Paris Paname une fois Hitler mouché et la guerre terminée. Des histoires, en somme, comme il s’en dit souvent dans ce genre de moment. Micky devait quant à lui quitter les USA  avec le 99ème pour la Tunisie le 2 avril, c’est à dire moins d’une semaine plus tard.
Départ depuis le port de Boston à bord de Liberty ships. Ces navires de transport contribuèrent eux aussi à nourrir la légende. Sur une idée d’un certain Henry Kaiser, qui se fit des couilles en or avec ça, ils furent fabriqués en série dans seize chantiers navals US entre 1941 et 45.

Koko Owens Blues - Page 3 Ls_110

Koko Owens Blues - Page 3 Ls_1910



Il en sortit 2710 exemplaires exactement, ce qui fait une moyenne d’à peu près 45 par mois ! Et ce n’était pas des barques, hein : entre 120 et 140 mètres de long. Leur conception permettait une construction rapide selon une organisation du travail toute fordiste, donc à faible coût de revient. Deux millions de dollars quand même.
Je suis toujours sidéré de voir comme les nations peuvent dépenser des fortunes colossales lorsqu’il s’agit de faire la guerre. Comparées à ce que coûterait par exemple l’éradication de la faim dans le monde, on en reste pantois. Question de retours sur investissements peut être ? Pour les USA à cette époque, sûr que celui-ci fut énorme, parce que bien sûr, par exemple ces navires, ils les vendirent aux alliés. Mais pour les autres belligérants, ce fut une vraie catastrophe, non ? Et c’est souvent le cas, non ?

Un liberty ship pouvait transporter 440 tanks, ou 230 millions de munitions d’armes légères, ou 2840 jeeps…
C’est dire s’il y eut largement la place de charger celle du Général Phillip Coton Colour.
Une flottille de douze de ces navires accompagnée par 5 croiseurs. Du matériel de toutes sortes et des hommes, beaucoup d’hommes. La traversée de l’atlantique en 1943 était moins risquée (mais risquée quand même) depuis que les anglais avaient réussi à décrypter le code utilisé par les allemands dans les messages qu'ils échangeaient avec leurs sous-mariniers. L’histoire vaut le coup d’être rappelée : les grandes trouvailles sont en général le fait de plusieurs personnes sur un temps plus ou moins long. Mais là dessus, ce fut Alan Mathison Turing qui fit le gros du boulot.

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C’était un mathématicien britannique brillant, puisqu’il avait établit dès 36 des concepts de programmation qui seront bien plus tard repris en informatique. Mais ce gars eut une destinée plutôt tragique. Il était homosexuel. Poursuivi pour une histoire pas claire d’espionnage par la justice anglaise dans les années 50, il fut mis en demeure à l’issue de son procès de choisir entre prison ... et castration chimique. Ce genre de choix qui n’en est pas. Il choisit la seconde proposition et se suicida deux ans plus tard.
Bon.
Jusqu’où se nichent aveuglement et bêtise, n’est ce pas ? Castrer ce qui dérange, ce qui est autre. Finalement, les afro-américains eurent un sort comparable. Parce que leur peau avait la mauvaise couleur. On tenta de les castrer dans leur tête durant des siècles, mais ils résistèrent. Têtes dures.
Turing ne fut réhabilité qu’en 2013. Comme quoi les choses finissent par aller dans le bon sens quand même, tu ne peux pas éternellement retenir l’eau. Mais réparer c’est toujours long.

Koko et Jibé prirent place dans deux navires différents, à destination de deux ports différents. Ils se séparèrent donc au départ de Boston.
- Tiens, mon adresse à Bruxelles, au cas où, fit Jibé en donnant un papier plié à Koko. Tu seras le bienvenu à la maison si jamais tu passes par là. Il n’y eut pas plus de mots échangés.
Tout avait été dit sans doute.

Et la petite flottille prit la mer. La traversée devait durer autour de deux semaines. Un peu chaotique au large de Terre Neuve, vu le mauvais temps, et Koko, comme beaucoup d’autres à bord, fut malade comme un chien. Faut dire que ça balançait bien, avec des creux de huit à dix mètres. Il y eut quelque inquiétude avec l‘arrimage du chargement, en particulier les trois locomotives à vapeur sur le pont supérieur.  La flottille ne fut pas la seule du reste à être malmenée, un U-Boot qui traînait par là fut repéré aux traces d’huile qu’il laissait à la surface. Les croiseurs le prirent en chasse impitoyablement, comme des loups sur une bête blessée. On ne sut jamais quel problème rencontrait cet équipage allemand, mais toujours est-il que ce fut spectacle pour tous ce jour là. En moins de six heures il fut localisé. L’explosion finale fit remonter un énorme remous à la surface qui se couvrit d’huile et de débris, dans les hourra et les cris de joie.
Koko, accoudé au bastingage avec d’autres, eut un serrement de coeur. Des gars de vingt ou trente ans venaient de laisser leur peau là dessous.
Mais c’était eux ou lui.
Sous Terre Neuve, ils aperçurent aussi au loin quelques morutiers en pleine campagne de pêche. Koko eut une pensée pour Serge Quatrevent.
Colour fit venir plusieurs fois son ordonnance les premiers jours, lorsque ça secouait. Il avait le teint plutôt verdâtre, et des effluves de whisky saturaient l’air de sa cabine.
- Dites moi, la Jeep est-elle bien arrimée ?
- Oui mon Général, je vérifie régulièrement…
- Oups, la mer, Charlie, hein, quelle engeance, vous ne trouvez pas ? Et lorsqu’il prononçait « Charlie », on sentait son estomac pas loin derrière.
Koko partageait complètement ce constat, qui ne se sentait guère mieux.
Mais heureusement, passée Terre Neuve, avec le grand large, ce fut de nouveau beau temps et mer plus tranquille. Les estomacs se stabilisèrent. Le général Colour laissa une paix royale à Koko durant la presque totalité du voyage, à part quelques entretiens qu’il eut avec lui sur ce qu’il attendrait de son nouvel ordonnance pour les temps à venir.

Alors ce fut temps suspendu pour Koko Owens. La mer, le ciel, et entre deux une ligne d’horizon nette et sans fin. Il n’y avait pas grand-chose à faire. Il fit la connaissance d’un électricien texan du nom de Mud qui traînait dans ses poches une tripotée d’harmonicas. Ils passèrent pas mal de temps ensemble, pour la plus grande joie des copains autour. Koko commençait par laisser courir les doigts en haut du manche de sa National, égrenant quelques notes, le plus souvent en mi ou sol. Puis il commençait à murmurer les yeux fermés, et stabilisait son jeu sur un rythme lent ou enjoué, selon. Alors Mud, jusque là silencieux, cherchait dans ses poches l’un de ses harmonicas, puis montait dans le train à son tour. Il s’agissait parfois de morceaux improvisés, dans lesquels les deux musiciens s’amusaient à se suivre et se poursuivre, se répondre et s’écouter, et des trucs connus que les autres chantaient avec eux.
Certains soirs, Koko partait déambuler le long des coursives ou sur le pont supérieur selon son habitude, laissant son regard errer sur cet univers qui lui était complètement étranger, un navire, avec son amoncellement de véhicules de toutes sortes, camions, tanks, et même ces trois fichues locomotives enfermées dans des caisses. La Jeep de Colour, qu’il surveillait de près, était arrimée sous une bâche là haut elle aussi, coincée au milieu de tout ce bazar.
Depuis qu’il avait quitté Carrie et le Mississipi, la vie lui avait réservé des surprises qu’il n’aurait pas imaginé, et en quittant le continent américain, il laissait donc derrière lui un tas de morceaux.
Les souvenirs s’agitaient dans sa tête, des lieux, des ambiances, des visages...
Lucy. La Lucy de son enfance puis de son adolescence gardait la même apparence. Elle ne vieillirait pas. Et la Lucy devenue femme, aujourd’hui morte, se mélangeait avec cette fille de New Orleans, Peggy, qui lui avait fait tant de bien. Ses nuits, souvent agitées, étaient peuplées de conversations, d’ambiances, de rires et d’éclats de voix, de musique aussi. Big Joe, hilare s’extrayant de sa Ford T et lui faisant un signe de la main. Cet Odé et son « pot ». Ce Paul Jingle, ce marin français, les ritals de Chicago, les clubs de New York. Le Red Star. Son cousin Micky.
Micky était toujours dans ses pensées celui qui riait de tout avec panache. Sa présence allait lui manquer, pour sûr.

Des infos à propos des Liberty ships :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liberty_ship

Et d’Alan Turing :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing


Dernière édition par T.Jiel le Jeu 4 Mai 2017 - 6:11, édité 2 fois
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Message par T.Jiel Mer 3 Mai 2017 - 20:03

Attention, vérifiez si vous n'avez pas raté les deux posts précédent!!!

Accoudés côte à côte au bastingage babord du Liberty ship SS Black Hawk, Koko et Mud observaient la côte anglaise se rapprocher lentement. L’escadre s’était séparée en vue de l’Angleterre, chaque navire joignant divers ports selon sa destination. Le temps était maussade, Koko aussi. Un vent un peu froid gémissait dans les superstructures du navire, dans les siennes aussi. Le ronronnement du moteur à vapeur qui remontait depuis les entrailles du navire s’était fait plus doux.



Porthmouth. Le port débordait de navires de toutes tailles et de toutes espèces. Un énorme bazar. Il y en avait partout. Des hommes, des engins, des marchandises tout juste débarqués. Une agitation enfiévrée et bruyante se donnait à voir et à entendre de tous côtés. Dans le port, sur les quais et dans les rues autour.

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- « Et bien, avec l’aide de Dieu, il va nous falloir trouver notre chemin dans ce bordel, mon ami », fut la première phrase prononcée à Koko par un Phillip Colour quelque peu éberlué. Eberlué, tout le monde l’était sitôt débarqué à terre. Etrange sensation, celle de prendre place, fourmi, dans une gigantesque fourmilière.
Une organisation présidait cependant à tout ce tumulte, quand on sait que le Sud de l’Angleterre accueillera jusqu’à près de 3.5 millions de soldats peu avant le printemps 44 ! Là encore, des sommes colossales étaient investies. Des montagnes et des montagnes de dollars.
Sitôt leurs effets personnels et la Jeep débarquée, l’idée était d’installer illico leurs quartiers dans un hôtel de Porthmouth où des chambres étaient réservées pour Colour et sa suite. C’est à dire Koko Owens.
- Chargeons nos affaires mon ami, et partons.
- Bien mon Général.
- Ha mais dites donc, c’est quoi, là dans cette couverture?
- Ma guitare, mon général.
-  Une guitare ? Quelle idée !… Ha mais oui, je me suis laissé dire que vous vous adonniez à cette musique qui plaît tant au gens de votre race, là …
- …
- Oui, et que vous aviez d’ailleurs un certain succès auprès de vos camarades pendant la traversée…
- …
- Dites moi, mon ami, à l’occasion, j’aimerais bien vous écouter jouer. Je suis piètre musicien, mais curieux, n’est ce pas…, ça ne vous gênerait pas, au moins, dites moi ?
Non, ça ne gênerait pas Koko. Enfin si, plutôt, mais il ne lui dit pas. Parce que, vraiment, qu’est ce que ce vieux Blanc pourrait entendre au Blues ?

L’hôtel s’appelait le Waterloo’s, mais, et c’est marrant, il avait dû être rebaptisé ainsi en vitesse pour sa nouvelle clientèle, car Koko put déchiffrer sous la peinture récente « The Holy Rabbit ». De fait, ça faisait depuis à peu près trois cent ans un peu hôtellerie sommaire à l’étage pour les voyageurs et les marins, et pub au rez de chaussée. A peine eurent ils déposé leurs bagages qu’une voiture se présenta pour emmener Colour à l’antenne locale du Cossac (Chief of Staff to Supreme Allied Commander), installée à sept kms au nord du port, en pleine campagne. Il y était vivement attendu.
Koko, resté seul, prit donc le temps. S’installer fut vite fait, dans la chambre qui l’attendait. Il posa son sac, sortit sa guitare de sa couverture et la posa contre l’unique armoire. Il ouvrit ensuite en grand l’unique fenêtre qui donnait sur la cour derrière le pub dans laquelle étaient garées quelques voitures, dont la Jeep de Colour, tout près d’une école, pile à l’heure de la récréation. Une, deux, trois puis dix paires d’yeux et des petits doigts se tournèrent vers lui avec force rires et commentaires qu’il ne comprit pas.
Ben oui, des Blacks, ils n’avaient pas fini d’en voir, les mômes d’ici.
Et au loin, le brouhaha du port.
Oups ! Coup de Blues ? Mais que faisait il là ?
Il décida de redescendre dans la salle du rez de chaussée.
Il y avait là quelques tablées un peu bruyantes, surtout des Marines. Il était le seul Noir. Etrange sensation que celle de se retrouver dans un tel endroit, seul au milieu de Blancs. En Amérique, un trait rouge clignotant séparait les zones réservées aux Blancs de celles réservées aux colorés. Ainsi des écoles, des restaurants et des clubs, des files d’attente, des magasins…, strictement réservés aux uns ou aux autres. Même les chiottes publiques ! Mais l’Angleterre n’était pas l’Amérique. Pas de traits rouges. Du moins pas les mêmes. Profondément troublé, Koko se dirigea vers le bar derrière lequel s’affairait une femme d’une quarantaine d’années qui lui adressa, dans un sourire :
- Que veut notre héros ?
- C’est  pour les repas, Madame. C’est à quelle heure ?
- Ha oui, c’est tous les jours à partir de six heure le matin, puis à midi pile et dix neuf heures le soir. Le Général aura une table qui lui est réservée là bas, et elle en désigna une du doigt. Il faut juste prévenir à l’avance si vous vous absentez, hein.
Des gars dans la salle le lorgnaient en coin en tapant le carton. Encore des commentaires prononcés trop bas pour qu’ils les entende. Cependant l’un d’entre eux, avec un fort accent du Texas, lui dit à travers la salle :
- Hey, mec, c’est toi qui cires les grolles de Colour ? Tu pourrais peut être faire les miennes aussi, hein ?
Rires.
Koko ne répondit pas, remercia la patronne, fit demi tour sans répondre et remonta dans sa chambre.

Phillip Colour fut de retour dans l’après midi. Il avait rencontré le Général Ray Baker en personne. Oh mais ce n’était pas rien, hein. Il fallait dès le lendemain matin retrouver le grand chef aux dépôts du port afin d’inspecter ces fichus nouveaux téléphones qui venaient d’arriver avec les derniers navires. Il semblait qu’il y ait un problème sérieux par là. On avait un peu de temps avant la fin de la journée, non ? Il fallait vérifier cette histoire au plus tôt. Les deux hommes ressortirent donc. Direction les dépôts de transit situés sur le port, c’est à dire à dix minutes à pied.
- Il faut que j’aille voir ce qui se passe. Il semblerait qu’une bonne partie des EE8B livrés ne fonctionnent pas. Allez, un peu de marche nous fera le plus grand bien, n’est ce pas, Owens ?
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Message par T.Jiel Dim 7 Mai 2017 - 17:47

Bon, vu que mon quota de clics est atteint, et histoire de remonter un peu le moral de ceux qui comme moi n'attendent plus rien de ce second tour d'élection, je vous en remets une couche. Attention, ça va être encore un coup un peu technique. Bricoleurs s'abstenir! Koko Owens Blues - Page 3 794303

EE8B . Des téléphones de campagne.

Koko Owens Blues - Page 3 B_1_0_10

Rien de bien nouveau en réalité, ils étaient fabriqués depuis 1937, et donnaient les meilleurs résultats. Un petit machin portable, avec une batterie et une manivelle sur le côté. Tu tournais la manivelle, ça chargeait la batterie et hop, la connexion se faisait à l’autre bout du fil. Ha oui, parce qu’il fallait un fil de cuivre entre les deux téléphones pour communiquer. Vous voyez le truc, selon qu’il faisait humide ou sec, que le fil était enterré ou pas, ou plus ou moins effiloché, l’efficacité n’était plus la même. Mais bon, faut croire qu’il rendait bien service, puisqu’il fut utilisé jusque dans les années 60.
Donc, y avait un truc qui n’allait pas avec une partie des 13754 téléphones de campagne de type EE8B que Colour avait amené avec lui.




Les entrepôts américains se situaient dans les anciens chantiers navals inutilisés depuis la déclaration de guerre. Ils eurent quelque peine à trouver le bon hangar, vu que là aussi, c’était comme une grosse ruche bourdonnante au plus fort de la saison.
Ils y étaient. Les caisses étaient bien là. Certaines ouvertes, et des gars autour en bruyante conversation, qui avaient tiré du fil dans tous tous les coins. Des électriciens. C’est alors que Koko repéra Mud. Il était seul dans un coin du hangar, silencieux, affairé sur un établi.
-  Hé Muddy, toi ici ?
- Hé Charlie !! Comment vas tu ? Ben oui, hein, les électriciens sont mobilisés en urgence. Hi hi, ces bougres d’EE8B qui ne marchent pas. Enfin, pas tous, on dirait que c’est la moitié des caisses seulement, on a testé les autres, ça marche impec !
Puis plus doucement :
- Je me marre, je crois que j’ai trouvé ce qui déconne. Mais je laisse ces Blancs se démerder. Qu’ils aillent se faire foutre, les cons.
En effet, Mud avait mis le doigt sur le problème. Les autres cherchaient sur la batterie et ça venait en réalité du générateur. Je vous mets un petit schéma pour que puissiez suivre.

Koko Owens Blues - Page 3 85-92610

Vous voyez le fil orange en bas ? Et bien la connexion sur le générateur ne se faisait pas vu que le fil, s’il était bien dans sa cosse, n’avait pas été dénudé !
Pendant ce temps, Colour écoutait les gars à l’autre bout de hangar :
- Ça nous a tout l’air de sabotage délibéré, mon Général !
- Sans doute des anarchistes de chez Bendix ! (le fabricant américain).
- Bon sang on a essayé un tas de trucs, visiblement les batteries sont défectueuses…
- Ou alors le générateur…
Bref, ça pataugeait ferme. Tout ce que Colour comprenait, c’est qu’il était dans la merde.
- Bon, si je comprends bien, on est dans la merde, là ?
Oui, c’était exactement ça. Je ne l’ai pas dis, mais Phillip Colour, s’il était fort s’agissant d’organisation, il était nul côté technique. C’était pas son truc de savoir comment les machins qu’il devait gérer pouvaient marcher. Il fallait que ça marche, un point c’est tout !

Pendant ce temps, Koko et Mud s’étaient lancés dans une grande conversation à vingt mètres l’un de l’autre :
- Nan, c’est pas ce bouton là, tourne celui d’à côté !
- Tu veux dire le rouge ?
- Exactement mon frère, le rouge, allez, monte le à 8 carrément !
- Là, tu m’entends ?
- Yesssss, man, 5 sur 5 !!!
Les autres stupéfaits, s’étaient tournés vers les deux Blacks et ne disaient plus rien.
Phillip Colour les scruta, interrogateur, puis traversa le hangar vers Mud et Koko qui étaient partis dans une déconnade avec les téléphones,  qu’ils cessèrent aussi sec dès qu’ils virent Colour venir vers eux.
- Et bien, Owens, on s’amuse bien, ici, on dirait ?
- Hum, mon ami Mud croit avoir trouvé d’où ça vient…
- Avec l’aide d’Owens, mon Général, avec l’aide d’Owens !!
- Expliquez vous, les autres me disent qu’il n’y a pas grand-chose à tirer de ces trucs…
- Juste une histoire de connexion pas bien faite…
- Un truc vraiment pas grave, quoi…
- Bon . Attendez, là, expliquez nous ça.
Les autres s’étaient approchés, rigolards. Ces Nègres, vraiment, ils ne manquaient pas d’air !
Mud alla chercher deux autres appareils dans l’une des caisses et, aidé de Koko, en ouvrit le générateur.
- Vous voyez ce fil orange, là ? Bien, regardez, il n’a pas été dénudé, le contact ne peut pas se faire ! Et tout en disant cela, Mud avait dégagé le fameux fil orange de sa cosse.
- Ha mais nom d’un chien vous avez raison mon ami !!
Colour se tourna vers les autres :
- Incroyable, non ? Ils n’ont pas fini le boulot, chez Bendix !!!
Je vous passe les commentaires qui se firent où il fut de nouveau question de sabotage délibéré, d’appareils pas fiables etc.
En fait, c’était toute une série fabriquée d’octobre 42 à février 43 qui était concernée, et uniquement celle là. La même erreur s’était répétée sur la chaîne de montage durant près de cinq mois. Avec les mêmes conséquences. Vraiment, rien de bien méchant.
Ça allait vite dans la tête de Colour :
- Dites donc, mon ami, vous avez l’air à l’aise avec ces téléphones, non ?, dit il à Mud.
- J’ai bossé chez Bendix de 37 à 41, mon Général, j’connais un peu la musique…
Colour se tourna vers Koko et lui dit dans un sourire :
- Encore un musicien, c’est ça ?
Koko, ne savait que répondre. Il ne connaissait pas assez Colour pour différencier chez lui le lard du cochon.
- Vous vous connaissez, on dirait ?
Oui, c’est ça, ils se connaissaient, le Koko et le Mud. Pas depuis longtemps, mais au fond depuis toujours.
- Dites donc, là, si vous ne vous trompez pas, vous allez m’enlever une sacrée épine du pied. A votre avis, que faut il faire ?
- Ben, juste brancher les fils, répondit Mud dans un sourire.
- Mais ces téléphones devaient quitter ce hangar sous quarante huit heures…
- Pas de problème, mon Général, donnez moi dix gars, j’vous fait ça.
- Pas de problème, pas de problème, mais où vais-je trouver ces dix diables d’électriciens là, moi, s’écria Colour en se tournant vers les autres qui commençaient à être un peu verts.
- Hou là là, ça va pas être simple, c’est quand même du boulot spécialisé, là, hou là là, fit le sergent qui menait l’équipe.
- Les dix gars, on les as, dit Koko en faisant un signe à Mud.
- Nan ?
- Si !
Bon, alors le plan c’était de faire venir ceux des potes rencontrés pendant la traversée qui étaient affectés tout autour dans les cuisines et sur les mess. Que des Noirs, bien sûr.
- Mais pourquoi des Noirs, mes amis ?
- Parce que la plupart sont d’anciens collègues de chez Bendix, répondit Mud.
Ce qui était complètement faux.
Et l’idéal serait de s’y mettre dès ce soir…
Bon. Y avait urgence, pas le temps de vérifier ce qu’avançait ce Mud. Advienne que pourra, à la grâce de Dieu !
- Allez, on y va, à la grâce de Dieu les enfants, il faut que je passe deux trois coups de fil. Y a t il le téléphone ici ? fit Colour.
Alors là, Koko et Mud se regardèrent, et se prirent d’un rire à se taper sur les cuisses, rejoints par Phillip Colour au bout d’à peine quatre secondes. On les entendit jusqu’au dehors.
Les autres affichaient un sourire un peu forcé.
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Message par T.Jiel Ven 12 Mai 2017 - 20:51

Bon. Je ne sais pas comment je vais faire. Y en a trop. J'en suis à des milliers de pages dorénavant clown , du coup, je suis tenté de vous poster une version plus courte en sautant des passages... scratch .
Parce qu'autrement, ça va nous mener à Noël prochain, c't'histoire là.
Après, hein, pourquoi pas? On a toute la vie devant nous non?
Bon. Alors en attendant, on était dans une histoire de téléphones de campagne qui avaient la vérole, ou un truc approchant.
So, let's go...




Après avoir passé quelques coups de fil, Le Général Phillip Coton Colour pu faire venir, sur les indications de Mud et Koko, sept hommes qui furent à pied d’oeuvre autour des fameuses caisses dès 19 heures le même soir. Koko se proposa pour compléter l’équipe, Mud organisa l’opération, des établis furent regroupés. Colour s’arrangea dans l’urgence avec les patrons du Waterloo’s qui amenèrent les repas durant deux jours.
Le lendemain matin, lorsque le Général Baker arriva avec Colour, un tiers des appareils avaient été traités et fonctionnaient. Ce Ray Baker était le numéro deux du commandement allié provisoire (COSSAC), commandement créé en vue d’un débarquement massif des alliés sur le continent. Il supervisait donc les choses bien au-delà de la fourmilière de Porthmouth. Et cette histoire de téléphone de campagne, d’apparence anodine, revêtait en réalité une importance réelle pour la préparation du projet. Même si c’en était qu’un aspect. Un aspect ajouté à mille autres dont dépendrait la réussite.
Ils trouvèrent les neuf Blacks très affairés au milieu des fils et des combinés. Baker, surpris, jeta un coup d’oeil circulaire sur la scène, arrêtant le regard de manière appuyée sur la guitare de Koko posée dans un coin et quelques bouteilles de bière vides.
- Mais, Colour,  vous ne m’aviez pas dit qu’il s’agissait d’une équipe de Nègres…
- Aucune inquiétude, je les ai sévèrement trié sur le volet, et ceux là ont tous travaillé chez Bendix dans le civil, mon Général. Des spécialistes.
- Mmmhh, voyons ça.
Colour fit venir Koko.
- Voici Charlie Owens, mon ordonnance. Où en êtes vous, mon ami ?
Tout se passait bien. La panne était bien celle qui avait été détectée. Mais Baker ne voulait rien laisser passer, il demanda des explications et une démonstration. Il fut rassuré. Je dois dire que Colour aussi, qui n’en menait pas large. Débarquer avec du matériel obsolète, rien de pire ne pouvait lui arriver. Il revenait de loin sur ce coup là.
Ray Baker remercia de manière appuyée les neuf gars qui commençaient à sentir la fatigue, vu qu’ils n’avaient pas dormi.
Colour sentait bien qu’une partie de la situation lui avait échappé, mais le résultat était là. Ça lui donnait des idées.
Les deux officiers repartirent en échangeant.
- Comment, un service dans l’USASC formé uniquement de Noirs, mais Colour, vous délirez…
- Mais la chose s’est vue vous savez, dans l’Air Force notamment …
L’échange devint inaudible à mesure que les deux officiers s’éloignaient. Les gars n’en entendirent pas plus.
Toujours est il que lorsque le lendemain matin, Colour vint s’enquérir de l’avancée du boulot, il prit Mud à part et lui proposa d’entrer dans son Service, qu’il aurait bien besoin d’un spécialiste comme lui, l’affaire étant entendue avec Baker. En attendant de créer un service dans l’USCAC (Corps des Signaux) uniquement composé de Noirs, il en aurait deux pour commencer. C’était un début.
Koko fit un clin d’oeil appuyé à Mud qui accepta sur le champ. C’est ainsi que Mud Blueland quitta sa fonction d’électricien toutes mains dans le 277ème RI de Marines pour rejoindre l’USACS aux côtés du Général Phillip Cotton Colour et de… Koko, et ceci au titre d’électro-technicien affecté tout spécialement aux questions de téléphonie et de radiologie du Corps des Signaux sur les" théâtres d’opération".
Les deux amis fêtèrent la chose dignement avec leurs potes une fois la dernière caisse prête à être expédiée, le soir même au Waterloo’s. Mr et Mme Twist, les patrons, avaient Koko à la bonne. Ils avaient apprécié sa gentillesse en livrant les repas durant ces deux fameuses journées. Ils avaient aussi aimé l’atmosphère de fête qui régna pendant ces deux jours dans le hangar. Chants, rires, et surtout les Blues joués par Koko et Mud pendant les pauses.
Colour quant à lui avait bien conscience qu’en s’entourant de personnel de couleur, il attirerait l’attention et surtout risquait de provoquer un peu de tension. Deux sentiments l’habitaient, comme il l’écrivit à Mme Colour peu après : d’abord il recherchait avant tout l’efficacité, c’était ainsi qu’il avait remplacé son ancien ordonnance irlandais en suivant le conseil du fils de son ami Benjamin Oliver Davis Sr, ce que pour l’instant il ne regrettait pas. Aussi, à son âge, il n’avait plus rien à prouver. Lui et Mme Colour n’avaient pas eu d’enfants. Sa fortune était faite, sa retraite était assurée, et enfin, il faut en convenir, ces histoires de ségrégation le fatiguaient. C’est Davis qui lui avait lentement ouvert les yeux, au fil d’années de camaraderie dans le service, sur l’insupportable de cette situation.
Mais comme je le disais plus haut, l’US Army pratiquait la ségrégation de façon plutôt sévère.

 

De fait, de la tension, il y en eut assez rapidement. Mud avait pris ses quartiers lui aussi au Waterloo’s, de manière à rester en contact direct avec Coulour. Il était amené à s’absenter régulièrement, parfois durant plusieurs jours d’affilée, détaché sur des zones d’entraînement où ses compétences étaient requises. Beaucoup des nouvelles recrues de l’USASC demandaient à être formées au matériel qu’ils utilisaient. Certaines pannes récurrentes, certains problèmes devaient leur être expliqués afin qu’il puisse devenir le plus autonome possible une fois sur le terrain. Les radios qui équipaient les Jeeps par exemple, devaient absolument être toujours en état de fonctionner. Sans parler de ces sacrés EE8B.
Pour lui permettre d’intervenir dans les meilleures conditions tout en se faisant respecter, Colour le fit passer, au terme d’examens rapides qu’il passa haut la main, de soldat de 3ème classe à caporal. Un petit plus pas négligeable sur la paye, et surtout beaucoup de fierté dans ce contexte ségrégationniste.

Mud parvenait cependant à passer quelques soirées de temps à autre au Waterloo’s. De l’épisode des EE8B était né une relation durable avec les sept gars qui y avaient participé, et ceux ci, avec d’autres bien souvent, passaient régulièrement au pub en soirée. La clientèle se colora donc sensiblement au fil des jours, ce qui déplut à certains. Remarques adressées à voix haute, voire provocations, une ou deux fois Phillip Colour, durant l’un ou l’autre des rares repas qu’il prenait sur place, dut intervenir pour calmer des esprit échauffés par la bière.
Quelques gars, dont ce texan dont j'ai parlé plus haut, ne supportaient pas la présence de tous ces nègres sur leur territoire privé. Sans compter que certains soirs, Koko et Mud jouaient, avec l’approbation des patrons du pub. Un soir de juin, ils furent agressés sur le parking de l’hôtel, alors qu’ils rentraient du cinéma. Les quatre types les attendaient, planqués, et leur tombèrent dessus avec des matraques. Koko, assommé, s’écroula aussitôt, inconscient, dans la poussière, ce qui n’empêcha pas l’un des gars de continuer à le labourer au sol à coups de rangers. Mud résista plus longtemps. Il était plutôt bien bâti et réussi à faire face aux trois autres jusqu’à ce que les cris et le bruit de l’altercation ne fasse venir Twist, le patron du pub. Celui-ci réussi à s’interposer et mit fin à la bagarre. Les quatre types s’éloignèrent avec regret, il n’avaient pas fini l’boulot, mais c’était partie remise, hein, ces foutus nègres ne perdaient rien pour attendre et bla et bla.
Résultat, côté Koko, deux côtes pétées, côté Muddy, une clavicule, sans parler des multiples contusions et égratignures. Et aussi les fringues déchirées. Miraculeusement, les lunettes de Koko avaient échappé à la casse.
Un bonheur, vu qu’il n’en avait qu’une paire.
Mme Twist fit ce qu’elle put pour les soigner, les deux gars ne souhaitant pas ébruiter l’histoire. Mais quand Colour le lendemain apprit la chose de la bouche de Twist, il entra dans une grosse colère. Oui, il voyait bien qui étaient ces quatre salopards, et qu’ils ne perdraient rien pour attendre ! De fait, l’affaire fit un peu de bruit, les quatre Blancs furent mis aux arrêts quelques jours, puis mutés plus loin et ...ce fut tout. Ils n’avaient pas complètement tort, d'ailleurs des témoins affirmèrent que les deux nègres ne cessaient de les provoquer régulièrement, ils n’avaient eut que ce qu’il méritaient en somme.
Ceci dit, l’atmosphère dans le pub se détendit notablement après ça. Deux côtes et une clavicule, c’est ce que ce calme relatif avait finalement coûté.
Koko et Mud purent reprendre leur service assez vite. Ce genre de casse, à trente ans, se remettant assez bien. L’essentiel du travail de Koko aux côté de son général consistait alors essentiellement à le conduire de droite et de gauche. Parfois même assez loin. Les troupes des armées alliées stationnaient tout au long de la côte et à l’intérieur des terres. L’armée américaine était constituée de jeunes qui n’avaient pour la plupart jamais combattu. Tout le Sud de l’Angleterre était donc devenu un vaste champ d’entraînement et de manœuvres. Sept fois même, jusqu’au printemps 1944, Koko conduisit Colour à Londres dans le cadre de rencontres interalliées. La capitale britannique l’intéressa particulièrement car derrière la fièvre guerrière qui la caractérisait à ce moment là, il découvrait une organisation sociale où la couleur de la peau des gens ne servait pas de laisser passer. Car la Grande Bretagne, tout en essayant tant bien que mal de conserver son empire d’une main de fer, entretenait une relation plutôt égalitaire avec les ressortissants de ses colonies installés dans sa capitale. Une fois même, Phillip Colour se fit fort de faire découvrir certains quartiers typés à son chauffeur : Soho, Southall et surtout Brixton.
- Voyez vous mon ami, tous ces Nègres ont ici une vie bien plus tranquille que dans notre grand pays. Pourquoi ? Et bien parce que avec la grâce de Dieu ils sont parvenu à collaborer avec leurs maîtres. Collaborer, voyez vous, Owens. Tout le secret est là ! Je ne parle pas de vous qui avez pris le parti de servir votre pays . Mais convenez que beaucoup de vos frères s’entretiennent dans leur paresse. Comment voulez vous qu’ils sortent de leur misère, hein ?

Ha bah oui effectivement, la grande majorité des nègres aux USA n’étaient que de grosses feignasses. Par la grâce de Dieu sans doute. Mais ce commentaire là, Koko se le garda pour lui.
En tout cas ça lui faisait un drôle d’effet de voir autant de Blacks aller et venir librement parmi des Blancs.
Genre Harlem à New York, mais avec quelque chose de plus.
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Message par T.Jiel Mar 16 Mai 2017 - 20:54

Allez, à partir de maintenant, je ne vous en mets que des bouts de cette histoire. Sinon on y sera encore à ce train là à la fin du mandat de Macron.
Et puis aussi, je vais cesser de vous mettre des trucs des années 4O pêchés sur You Tube. Non, je ne vous mettrai que du Skip James à partir d'aujourd'hui et rien d'autre. Parce que la façon de jouer de Koko et même son timbre de voix étaient en fait réellement très proches de ceux de Skip James...




Un soir de décembre, peu avant Noël, Colour invita Koko à venir passer la soirée avec sa guitare.
- Oh mais dites donc, elle est toute en fer cette guitare, non ?
Koko lui expliqua comment ces résonateurs avaient été conçus pour les musiciens des rues. Leur son portait beaucoup plus que les instruments en bois
Il commença à jouer. Comme il faisait toujours. Quelques notes d’abord, histoire de lancer la discussion avec la musique, puis l’invite à grimper dans un train. Pour le voyage.
Koko parla de ses amis, Big Joe Williams, Sonny Boy Williamson, Sonny Terry, Blind Willie Mc Tell… Leurs vies, leur musique.
Tous ces noms ne disaient bien sûr rien du tout à Colour, mais il écoutait avec attention.
Car tout en parlant, Koko jouait. Il lui parla de Carrie, de la vie à Carrie. Oui, les champs de coton. C’était dur avant les années 30, et encore plus dur depuis. Les p’tits fermiers blancs qui essayaient de s’accrocher à leur lopin, les famille Blacks qui n’avaient de toutes façons rien à perdre vu qu’elles ne possédaient déjà rien avant. Il lui parla même de Lucy Mae. Puis de Chicago, Ford Motor. Les italiens. Sans rien cacher. Le Blues ne cache pas. New York ,et aussi de son cousin Micky.
Phillip Colour ne disait rien. Il écoutait oreilles déployées. Les mots et les sons venaient à lui avec des images collées dessus, qu’il laissait descendre.
A un moment, Koko se servit de son canif pour jouer. Il le faisait glisser sur les cordes. Ha ça, Seigneur, mais il joue avec son couteau, comme c’est curieux !!
Koko  partagea beaucoup de choses de façon un peu décousue. Colour y vit de la poésie. La poésie, ça aide à dire, du moins c’est ce qu’il croyait.
Le Général Phillip Cotton Colour ce soir là découvrit le Blues. De l’intérieur. Et ce fut un choc, au point qu’il en oublia de recharger le poêle qui s’éteignit. Cet homme là n’était pas imperméable aux choses de la vie, il faut croire. Avec « la Grâce de Dieu, » peut être. Rien n’est moins sûr, non. Simplement il n’avait pas le coeur complètement desséché.
De morceaux joués en cigares et autres whiskies, cette soirée là se termina tard, et Colour fut ravi. C’est du moins ce qu’il écrivit à Mme Colour le lendemain.
C’était lui pour le coup qui avait voyagé cette fois là. Et il en resta longtemps reconnaissant à son ordonnance, ce qui se vérifiera plus tard. Mais on y est pas...
Des infos sur le forum au sujet de Skip James :
http://www.aupaysdublues.com/t84-skip-james?highlight=skip+james
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Message par Phil cotton color Mer 17 Mai 2017 - 11:47

T.Jiel a écrit:Le Général Phillip Cotton Colour ce soir là découvrit le Blues.
Ah je ne me souvenais plus quand c'était... Merci TJ ! Wink  Laughing
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Message par T.Jiel Sam 20 Mai 2017 - 20:57

Un nouveau bout de l'histoire. Comme je m'absente la semaine prochaine, la suite sera pour juin...

Décembre 43. Les fêtes de fin d’année à Porthmouth au coeur d’un hiver froid et humide. Le caporal Mud Blueland était rarement là, accaparé par ses interventions. Le soir, lorsque Colour n’avait pas besoin de lui, Koko sortait se promener seul sur le port.
Le port, et après, la Manche.
Et derrière la Manche ?
Koko était particulièrement sensible à l’ambiance des ports. Va savoir pourquoi. Les navires, le large, et surtout ce qu’il y avait après. Car depuis un port, il y a toujours un autre côté, n’est ce pas ? Et c’est comment, de l’autre côté ?
Dans le même quartier, il y avait une maison pour les marins et les soldats. Koko y fit la connaissance d’une Black qui bossait là. Il y alla plusieurs fois. Mais non, ce n’était jamais comme avec Peggy. Il cessa de s’y rendre.



Bon sang, le climat anglais était vraiment rude. Le printemps 44 fut long à se faire sentir. Ceci dit, l’activité de plus en plus grande laissait de moins en moins de répit à tous. Colour battait la campagne dans tous les sens. Il y eut bien deux petits problèmes avec la Jeep, que Koko résolut, fort des cours de mécanique de Micky.
Mais sûr qu’il se tramait quelque chose. Les gars en causaient partout. Koko accompagna Phillip Colour sur des champs de manœuvre. Il y voyait des gars à longueur de journée patauger dans la bouillasse, passer des obstacles, ramper, avec leur bazar sur le dos. Tous ces exercices dont les militaires sont si friands. Ils assistèrent aussi à des manœuvres de débarquement avec ces fameuses barges, les LCA (Landing Craft Assault), des bateaux plats en bois recouverts de plaques d’acier, de douze mètres de long par trois de large, muni d’une rampe mobile sur la proue, et qui pouvait transporter 31 hommes en plus des cinq membres d’équipage.

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Fin mai, les navires s’accumulaient dans le port et ne repartaient plus. Ils furent même chargés jusqu’à la gueule.

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La tension alors fut à son comble. Partout les gars étaient nerveux. Du coup Koko se tint tranquille. En dehors des temps passés avec Colour, il ne sortait plus seul et restait au Waterloo’s à jouer ou à lire. Vers le 4 juin, Mud lui apprit que le débarquement sur les côtes françaises se tiendrait d’un jour à l’autre et qu’il en serait.
Koko sut ensuite par Colour que la date était arrêtée au 5 juin.
Mais ce matin là, le temps était trop mauvais. L’opération fut donc repoussée. Les prévisions météo laissèrent une toute petite fenêtre le lendemain, et c’est donc le 6 juin que tous ces mois de fièvre folle virent enfin leur épilogue.
Dans la nuit du 5 au 6, le ciel s’emplit d’un incessant bourdonnement qui dépassait en décibels ce que tous avaient connu durant les mois passés. Koko eut une pensée pour Jibé Van Huitte. Peut être passait il là au-dessus de sa tête?

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Des centaines et des centaines d’avions de transport et de bombardiers.
On y était.
La ville se vida d’un coup des trois quart de ce qui l’encombrait. Au matin du 6, les rues et le port semblaient sans vie.
Dès six heures du matin, Colour était scotché au QG allié dont j’ai parlé plus haut. Koko y était aussi, bien sûr, qui y attendait son patron.
Bon sang, chacun croyait vivre un moment historique, là. Des mois, des années d’effort se jouaient dans ces heures là.
Car l’illusion avec les choses de la vie se niche où on la met.
Ce matin du 6 juin, en France, sur la côte normande, des mecs se battaient et mourraient à six mille kilomètres de chez eux.
Ce matin du 6 juin 1944, là bas en Normandie, beaucoup appelèrent leur mère en lâchant leur boyaux sur des plages de sable qu’ils ne connaissaient pas. Sable blond et rouge.

Phillip Colour jubilait. Il était tenu au courant de la situation quasiment à la minute. Là bas, les boys s’accrochaient. Non, rien n’était gagné, loin de là, mais on pouvait vraiment espérer. Avec la grâce de Dieu.
La Grâce de Dieu. Koko écoutait Colour qui de temps en temps venait prendre un peu l’air frais au dehors, cigare au bec.
La grâce de Dieu. Il ne croyait pas qu’il soit question de grâce ou de Dieu dans cette histoire. Koko souffrait. Koko pensait à son pote Mud. Et à plein d’autres.
Les heures filaient, les nouvelles tombaient. Koko apprit par Colour et par d’autres aussi un peu du scénario qui se jouait là bas.
La Normandie. Il repensa alors à ce paquebot français resté coincé dans le port de New York à la déclaration de la guerre.
Attendez, ce paquebot m’impressionne. Figurez vous qu’il faisait 313 mètre de long par près de 36 mètres de large, et pouvait embarquer 2000 passagers (répartis sur 3 classes s’il vous plaît !) pour 1300 membres d’équipage. Une folie. Encore une. Qui eut les flammes pour épilogue.
Bon.
Dans la matinée, Colour chargea Koko de se rendre de toute urgence au Waterloo’s pour lui ramener une boite de cigares. Il n’en avait plus.
En arrivant à l’hôtel, il fut accueilli par des Twist pleins de questions. Oui, on y était. Ça se battait sévère là bas, en France. Mme Twist lui offrit une bière. Koko demanda à ce qu’elle fut agrémentée d’un peu de malt. Il avait besoin de prendre, faut croire.
Bière spéciale cuvée du 6 juin 1944 qui fut suivie d’une seconde.Vous avez déjà essayé un verre de bière avec un peu de whisky ou de bourbon dedans ? Ça le fait bien, les amis. Uniquement dans les grandes occasions, hein, s’entend !
Il repartit ensuite retrouver son Général qui attendait ses cigares.
Ce fut une journée particulièrement longue, comme on sait. Pas pour le Monde entier, bien sûr, mais pour Colour et Owens, ça ne fait pas de doute.
En fin d’après midi, oui, il semblait avec certitude (j’aime la tournure) que nos courageux GI’s avaient pris pied sur le territoire français.
Soulagement.
Mais il fallait encore attendre, car il ne semblait qu’avec certitude.
Tard le soir, Colour rentra au Waterloo’s. Donc Koko aussi.
Puis dans la nuit, Twist vint réveiller le Général, il lui fallait de toute urgence rejoindre le poste de commandement allié.
Une demie heure plus tard, encore endormi, Koko l’y déposait.
Et il attendit encore.
Matin du 7. Oui, les nouvelles se confirmaient. L’ennemi résistait âprement, mais nos gars avaient à présent mis leurs deux pieds sur le sol français, c’était une certitude.
Mais rien n’était gagné, loin de là. Il fallait encore attendre.
Les journées passèrent. De bataille en bataille, de morts en morts, la situation finalement évoluait vers une confirmation des premiers succès. Mais ça prit du temps.
On entra alors dans la phase suivante. Ce débarquement n’était que la tête d’un énorme serpent dont les spires se déploieraient l’une après l’autre ensuite, passés les premiers succès. Car l’intendance devait suivre. Tout ce qui accompagne aujourd’hui les armée organisées lorsqu’elles partent en campagne, des munitions au gas-oil.
Il était prévu que le Général Phillip Coton Colour débarque dès que la situation serait suffisamment stabilisée sur le terrain, apportant avec lui vingt deux tonnes de bazar qui attendaient déjà dans les cales de navires.
Il fallut attendre pour cela jusqu’au 18 juin, date à laquelle le port Mulberry I assemblé à Arromanches les Bains devait être prêt à accueillir les premiers navires.
La Jeep et les bagages de Colour furent chargés dans l’après-midi du 17, le navire embarqua le lendemain avec d’autres à cinq heures du matin. Du coup, Koko aussi.
De Porthmouth, les côtes normandes se trouvaient à peu près à neuf heures de navigation. Dans le meilleur des cas, et le temps ne fut pas de la partie. Koko dégueula son petit déjeuner au bout d’une heure. Puis sa bile ensuite. Comme beaucoup d’autres à bord.
La mer, c’est pas toujours drôle pour les néophytes. Et ça dura comme ça un peu plus de huit heures.
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Message par T.Jiel Jeu 1 Juin 2017 - 21:28



Arromanches. Une immense et belle plage de sable et devant, cette chose incroyable : le port artificiel. Une digue constituée d’une ceinture de navires apportés et sabordés sur place, et surtout d’énormes blocs de béton amenés eux aussi d’Angleterre afin de permettre aux transports un accostage sécurisé en eau profonde. De gros parpaings sophistiqués qui pouvaient peser six mille tonnes, faire 70 mètres de long par 15 de large et hauts comme des immeubles de six étages.

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Des rampes déjà encombrées de véhicules et de troupes reliaient ces digues au littoral. Sur l’une d’entre elles des files d’ambulances et de camions chargés de gars estropiés remontaient vers les navires pour le départ. Des cercueils aussi, des dizaines et des dizaines de cercueils chargés sur des GMC. Le revers de la situation. Sa face sombre.
Arrivés sur la plage, Koko, au volant de la Jeep, passa auprès de centaines de prisonniers assis sur le sable et parqués dans des enceintes barbelées. Eux aussi attendaient leur tour pour embarquer.  Des vieux, des jeunes, des très jeunes aussi. Hagards, harassés, défaits.
- Ha que j’aime ce spectacle, Owens !, s’écria Colour, voyez vous, tous ces types sont autant de nos gars qui seront sauvés, par la grâce de Dieu.
Koko regarda ces hommes tristes et fatigués.
- Ha mais pour eux la guerre est finie, Owens, c’est au moins ça de gagné.
Colour n’était pas un va-t-guerre. Des théâtres d’opération, il en avait connu. La souffrance, il avait connu. La détresse dans le regard de celui qui s’est battu et qui a perdu, il avait connu. Pris d’une soudaine inspiration, il s’écria :
- Arrêtons nous, Owens !
La Jeep stoppa à proximité d’un petit groupe d’officiers. Colour se redressa dans la Jeep et leur dit, dans un allemand très approximatif :
- Mes amis, Dieu vous bénisse, l’Amérique saura s’occuper de vous.
Koko lut parfaitement le message dans le regard de l’un d’entre eux posé sur lui  : chargé de haine.
Mais déjà des sentinelles arrivaient :
- Circulez, mon Général, pas de contact avec les prisonniers ! En plus ça pourrait être dangereux.
Koko redémarra. Sûr que si Colour avait appris que quelques jours avant une quinzaine de boys venaient de se faire massacrer par des SS sous prétexte qu’ils avaient le type juif, il aurait vu les choses autrement.
Sûr ? Finalement peut être pas. Colour avait toujours respecté les ambulances.

Ils prirent sur la droite en direction de Vierville sur Mer située à une vingtaine de kms à l’ouest d’Arromanches. Tout au long de la route, des traces de combats. Des chars, des véhicules poussés sur le bas côté pour libérer la route. Partout des impacts de tous calibres dans les champs et sur les bâtiments. Des maisons offrant au regard leurs entrailles exposées à tous vents. Cette route étaient passablement encombrée de véhicules et de troupes.

En arrivant sur Vierville, la Jeep longea soudainement le littoral devant une longue et large plage de sable. Un spectacle apocalyptique s’offrit à eux durant quelques secondes. C’était marée basse, et toute la plage, sur près de quatre ou cinq kilomètres de longueur, étaient encombrée jusqu’à la mer et même plus loin, d’épaves d’engins, chars et LCA…, et une quantité invraisemblable d’objets et de déchets emportés et ramenés par les vagues au fil des marées, que des gars ramassaient et chargeaient dans des GMC.
C’est sur cette plage qu’avaient débarqués les gars. Ça avait dû chauffer sacrément.
Sur la gauche au sortir du bourg, le château de Vierville.

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C’est drôle comme les états majors en campagne aiment à installer leurs quartiers dans ce genre d’endroit. Les allemands l’avaient réquisitionné et occupé en leur temps, et maintenant c’était une unité américaine, celle chargée de l’exploitation du port artificiel.
Et là, dans la cour, les attendait Mud.
- Ha Blueland, comment allez vous ?
- Bien mon Général, bien. Vous savez, le colonel Witcomb vous attend, mon Général.
- Parfait mon ami, je vous retrouverai ensuite. Vous me direz où on en est, hein…
Il gravit les marches de l’entrée principale d’un pas alerte et pénétra à l’intérieur. Les deux amis se regardèrent.
- Putain, tu sais Koko, je n’sais pas comment je m’en suis sorti.
Et Mud raconta le matin du 6 juin. Il ne faisait pas partie des premières vagues d’assaut. Non. Il devait débarquer avec sa caisse à outils après sécurisation du littoral. Déjà, ça avait mal commencé, la moitié des gars était malade, vu le temps pourri durant la traversée. Ça balançait mon frère ! Puis, arrivés au large et avant le jour, c’était un sacré spectacle depuis les navires, un vrai feu d’artifice, là bas, sur la côte. Ça pétait dans tous les coins. On se disait qu’ils auraient leur compte, que ça devrait bien se passer pour nous. Les premiers LCA ont été mis à l’eau vers 6h, les gars sont montés dedans et rame ! On les suivait à la jumelle. Au début, rien. Mais quand une fois arrivés ils ont commencé à sortir des barges et à courir sur le sable, ça a été le carnage. Les pauv’types avaient plusieurs centaines de mètres à se taper à découvert, vu que c’était marée basse. Putain, je n’oublierai jamais c’t’horreur. En quelques minutes, ils étaient des centaines à être tombés. Un massacre. Les bombardements ne leur avait pas fait grand-chose, aux mecs d’en face. Du coup, d’autres barges ont été mises à l’eau et sont parties, puis d’autres…

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Mud avait les yeux vides, en racontant.
- Et les mecs étaient dégommés aussitôt sortis de ces putain de LCA. Ceux qui y parvenaient se planquaient comme ils pouvaient, dans la flotte derrière les chicanes anti-char, certains étaient même parvenus au bord de la plage, étalés comme des crêpes derrière les reliefs de sable, ou bien faisaient les morts. Les allemand tiraient comme à la foire, dès que nos gars mouftaient, ils avaient droit à une volée de pruneaux.
Koko écoutait sans rien dire. Il voyait bien que Mud vidait un gros sac, là.
- Dans les navires, c’était le délire. Les mecs étaient fous, d’assister à ça sans rien pouvoir faire. Un p’tit lieutenant m’a alpagué et m’a obligé à descendre dans un LCA, « Allez, le Nègre, va crever aussi, y a pas d’raison ! ». Putain, mon frère, j’n’avais même pas d’M1 (fusil), rien à part mon colt. Pas de sac, mon frère, rien du tout. Et le LCA est parti. Quand on est arrivés, et avant que le haillon ne se baisse, on s’est fait arroser. Le pilote a été coupé en deux. Alors ça a été la panique, les gars ont commencé à sauter par dessus bord, mais ils n’avaient pas encore pied. Et avec leur bordel sur le dos, ils se noyaient, tout en se faisant tirer dessus. L’eau était toute rouge autour, Koko, j’te jure. La trouille. Ça sifflait de tous les côtés, j’ai sauté aussi. Comme je n’était pas chargé, j’ai nagé et marché sous la surface et j’ai pu rejoindre le sable, et je me suis protégé dans la flotte derrière une chicane. Dzing ! Dzing ! Ça faisaient aux oreilles sur l’acier. Puis y a un mec qui m’a poussé en gueulant pour prendre ma place, alors j’ai rampé dans la flotte et je m’suis planqué derrière un mec mort. Et j’ai plus bougé. Partout autour des mecs gueulaient. Y en avait qui appelaient leur mère. Leur mère, Koko, tu t’rends compte ?

Koko Owens Blues - Page 3 Par12111

Koko prit Mud dans ses bras et le serra fort. S’ensuivit un long moment de silence entre les deux hommes.
- Putain, et le pire, tu sais quoi ? Le pire, c’est mes harmos. J’en ai paumé deux dans la flotte, et les autres en ont pris un coup. Tout en parlant, Mud sorti l’un de ses harmonicas et souffla dedans. Effectivement, ça vibrait bizarre.
- Montre, fit Koko. Ben oui, les harmos, c’est pas des poissons, fit-il avec un clin d’oeil.
- J’ai l’impression qu’ils sont foutus, lâcha Mud.
- Nan, attend... faut voir !
Mud regarda alors Koko, l’oeil soudain de nouveau pétillant, rigolard. Car celui-ci lui avait raconté les conseils que Micky lui avait donné pour résoudre les problèmes de mécanique un peu particuliers. Koko sourit.
- Ça devrait pouvoir s’arranger quand même, je crois.

Oui, Mud en avait gros. Mais il était toujours vivant.
De fait, ce fameux 6 juin 1944, sur cette plage de Vierville, entre ceux qui se firent hacher par les mitrailleuses et les mortiers allemands et ceux qu’on ne retrouva jamais, ils furent 3400 à laisser leur peau.
Les anglais, un peu plus loin : 3000.
Les allemands, c’est pas clair, entre 4 et 9000.
C’est à dire qu’en quelques heures, là, des pères, des fils, des frères, 10 000 au moins, laissèrent leur peau sur ces quelques kilomètres de côte normande, dans le vacarme, la souffrance, la peur et la haine.
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Message par T.Jiel Jeu 8 Juin 2017 - 20:44

Je vais sauter encore des épisodes. Je vous passe la mort de Mud devant Cherbourg (désolé, Mud), la disparition de Jean-Bernard Van Huitte au dessus de la Manche au retour d'une mission sur Rouen (désolé, Jibé), mission qui tuera mon propre grand-père soit dit en passant (merci Jibé) et aller directement à "un truc fort" que vécut Koko un jour de début juillet 44 sur les falaises Vierville sur Mer.
Encore une chose, mon ordi a bogué grave la semaine dernière, et j'ai perdu toutes les photos que j'avais mises de côté au fur et mesure du récit. Je ne mettrai donc plus que de la musique pour illustrer l'histoire. Wink



C’est durant ces journées là qu’il se passa un truc fort pour Koko. Une fin d’après midi de début juillet, il s’était rendu sur la falaise avec sa guitare. Un coin abrité du vent à l’écart des dernières habitations. Il jouait sur sa National, chantant doucement de sa voix au timbre un peu haut. Malgré le bruit du vent, du ressac en bas et les cris des mouettes qui tournaient autour, il crut à un moment discerner un murmure derrière lui. Attends, c’était incroyable. Ce n’était pas le vent. Un murmure qui suivait son propre chant, comme des notes bouche fermée. Il continua de jouer sans bouger. Bon sang, c’était comme une voix qui s’ouvrit doucement et fit alors des entrelacs autour de la sienne. Vous voyez le truc ? Quand deux voix se conjuguent, parlent et échangent, vous voyez ? Comme deux cours d’eau qui se rejoignent puis se mélangent. Cela dura un bon moment ainsi.
Puis à la fin Koko arrêta de jouer. Et la voix derrière lui de chanter.
Mais il entendait clairement le souffle d’une respiration.
Les odeurs de la terre exacerbées par la chaleur, les cris des mouettes et des vagues se brisant au pied de la falaise. Et cette respiration derrière lui.
Il se retourna lentement.
Une femme se tenait là, debout à deux mètres. Koko n’avait pas ses lunettes mais avec sa deuxième paire, celle qu’il avait avec lui depuis toujours, il la voyait parfaitement.
Il l’avait aperçue plusieurs fois déjà de loin. Elle vivait avec ses parents dans le bourg et venait parfois seule ou avec l’un ou l’autre de ses parents sur le potager familial installé en retrait de la falaise à quelques centaines de mètre seulement de Mon plaisir. Outre le potager ils avaient installé là un poulailler clos sur une parcelle qui avait échappé aux destructions. Il y avait le père, garagiste à Vierville, la mère, une petite bonne femme toujours active et souriante qui passait de temps à autre à la Villa leur vendre ses œufs et ses volailles. Et enfin leur fille. C’était elle, là, devant Koko.
Elle ne bougeait pas, les doigts noués devant elle. Ses cheveux ondulant doucement sur ses épaules au gré de la brise, le visage tourné vers le large, un sourire aux lèvres.
Elle ne regardait rien car ses yeux ne pouvaient rien voir.
Elle vivait tout en noir depuis toujours. Ou plutôt avec d’autres couleurs qu’elle seule voyait, celles des sons, des odeurs, de la musique des voix et de la vie autour d’elle. Elle avait appris le monde à sa façon et s’en faisait une représentation pas si éloignée finalement de la réalité des autres.
Elle était aveugle.
Quel âge avait-elle ? Autour de trente ans peut être. Koko l’observa un long moment. Belle. Oui, il la trouva belle. Qu’est ce que ça veut dire, belle ?
Et surtout, que faisait elle là ?
Elle prononça quelques mots qu’il ne comprit pas. Mais il en comprit la musique. Elle fit un pas vers lui, Koko parvint à prononcer une ou deux phrases, s’excusant, bafouillant, qu’elle ne comprit pas. Mais elle en comprit la musique. Ils rirent.
Ce jour là il ne se passa rien de plus. Mais le lendemain, ou peut-être était-ce le surlendemain ou le jour d’après, la chose se reproduisit.
Cette fois là elle s’approcha plus près pendant que Koko jouait. Au point qu’il entendit son pas dans l’herbe sèche quand elle approcha. Mais, comme la fois précédente, il ne se retourna pas et continua de jouer. Elle avait en fait une voix magnifique. Ça faisait longtemps qu’il n’avait entendu chanter comme ça. En fait, pas depuis Carrie. Une voix chaude. Oui, chaude. Vous savez, ce genre de voix qui fait du bien quand on l’entend.
Lorsque Koko cessa de jouer, la femme continua de chanter un moment, en variant d’abord doucement sur le même thème, puis en s’en éloignant. Koko la rejoignit sans se retourner. Ils chantèrent ensemble ainsi a cappella durant quelques minutes, puis s’arrêtèrent. Koko se redressa et se retourna et ils rirent alors, sans retenue. Puis ce fut de nouveau le silence. Silence embarrassé, lourd d’attente pour lui en tout cas. Elle le regardait. Avec ce sourire. Koko reposa la guitare dans l’herbe et fit un pas vers elle. Elle resta immobile, son sourire s’élargit imperceptiblement. Elle dit alors :
- C’est beau ce que vous jouez.
Koko entendit :céboskeuvoujoué. Il ne comprit que la musique là encore.
A part quelques mots, il ne comprenait rien lorsque ces français parlaient. Et de toute façon, là, il était juste scotché devant ce visage, à trente centimètres du sien. Elle leva lentement la main vers lui tout en souriant. Il n’osait même plus respirer.
Les consignes étaient claires et leur avaient été maintes fois répétées, s’agissant du contact entre les troupes et les civils, des femmes en particulier. Pas touche ! Encore plus s’agissant des Nègres. Un Noir qui porterait la main sur une française risquait la peine de mort, comme au pays.
Elle fit un pas et le toucha du bout des doigts.
Et si une française portait la main sur un Black, qu’arriverait il ? Ça n’était pas écrit dans le manuel qu’on leur avait distribué à tous.
Ça carburait à toute vitesse dans la tête de Koko. Son cœur cognait à tout va.
Sur sa joue d’abord. Puis les deux joues en même temps, de ses deux mains. Elle fit le tour de son visage. Son expression disait toute l’attention qu’elle mettait dans ses gestes. Elle parlait avec l’extrémité de ses doigts, et avec ses paumes aussi. Elle découvrait, elle faisait connaissance, et toujours ce sourire qui éclairait son visage.
Koko était complètement pétrifié.
Elle fit descendre ses mains le long de ses épaules et s’approcha encore de lui. Elle prononça des paroles qu’il ne comprenait toujours pas, mais la musique, il l’entendit. Cela voulait dire quelque chose comme :
- J’aime ces joues, ce visage, ces épaules là…
Finalement il osa, et porta ses mains autour de sa taille à elle. Elle frémit, son visage se tendit durant une fraction de seconde, puis son sourire s’élargit encore. Koko voyait ses dents blanches entre ses lèvres. Sa taille entre les mains de Koko avait juste la bonne dimension.
Lequel des deux attira l’autre à lui, je ne sais. Mais alors ils s’étreignirent. Et tout bascula autour d’eux.
Vous savez ce que c’est, que de danser à deux mélangés ? C’est ce qu’ils firent ce jour là sur cette falaise de Vierville. Le petit Nègre venu d’Amérique, et elle, la petite française infirme sortie de nulle part.
Vous allez dire que cette histoire est insensée, n’est ce pas ? Et pourtant. Pourtant, reconnaissez qu’il se passe parfois autour de nous de ces choses insensées auxquelles on ne prête pas toujours attention. Mais c’est toujours pareil, hein, finalement, ces deux là étaient comme des moineaux dans la vie. Ils n’avaient pas de personnage à jouer, de rang social à faire valoir, et ça, ça aide à garder un œil sur l’essentiel !
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Message par T.Jiel Jeu 15 Juin 2017 - 21:20

Allez, je saute encore des épisodes!!!
Là, on va faire la connaissance du père de la femme que Koko a rencontré sur cette falaise de Vierville. J'ai eu beaucoup de mal, Pape François, à te faire entrer dans le scénario. J'ai commencé par parler d'un gars très dévot, au point que les gens du bourg le surnommaient "Pape François". Mais non, pour un livre promis au prochain Goncourt 2018, "Pape François", quand même, ça m'aurait fait des problèmes!! Du coup, j'ai mis la pédale douce sur le personnage, et je t'ai fait bedeau...   Wink




... Ce n’est finalement que lorsque ce français vint le rencontrer deux jours après qu’il eut le fin mot de l’histoire.
- Général, un civil demande à vous rencontrer, il est déjà passé hier et il insiste. Il dit que c’est important.
Ha diable, s’il fallait en plus écouter les histoires des civils, on n’en finirait pas. Colour reçut l’homme dans sa chambre qui lui tenait lieu aussi de bureau, et s’attendait à entendre encore des plaintes concernant les dégâts occasionnés chez les particuliers par la présence des troupes. Ça n’était absolument pas de son ressort, et il renverrait vite fait le type vers les services concernés.
Il fit venir l’une des deux secrétaires qui parlait à peu près le français, afin de traduire les échanges, et écouta l’histoire de l’homme. Oui, c’était au sujet de sa fille, sa fille unique, qui avait été déshonorée par l’un de ses soldats, et ça avait été un peu loin, si vous voyez ce que je veux dire. Nom d’un chien, Colour ne pensa pas à Koko au début. Il y avait bien l’un des standardistes, un jeune du Massachusetts qu’il avait aperçu plusieurs fois avec l’une ou l’autre fille de Vierville.
- En plus, c’est un musicien… Et l’homme fit le geste d’un qui joue de la guitare en agitant frénétiquement sa main droite devant lui.
Tiens, là, les choses se précisaient. D’artiste comme ça, dans son équipe, Colour n’en voyait qu’un. Il fit venir Koko sur le champ.
Lorsque que celui-ci pénétra dans la pièce, le français ouvrit des yeux grands comme des soucoupes. Mince, un Nègre !
- Owens, j’ai ce monsieur qui souhaite déposer plainte parce que sa fille aurait été gravement outragée par l’un de mes hommes. Ça vous dit quelque chose ?
Koko raconta à Colour l’extraordinaire rencontre qu’il venait de vivre. Cette femme. Et bien non, il ne connaissait pas son nom.
- Quoi, Owens, vous vous fichez de moi, là. Vous l’avez revue plusieurs fois et vous ne savez même pas comment elle se nomme ? Puis se tournant vers Pommier :
- Au fait, comment s’appelle-t-elle, votre fille ?
- Lise.
- Mais, cher monsieur, il ne s’agit tout de même pas de cette femme…?, il montra alors ses deux yeux de ses index.
Ben oui, c’était bien ça. Bon sang, une infirme en plus !
- Owens, une infirme en plus ! Vous vous êtes mis dans la merde, là !

Colour se sentit soudainement dépassé par la situation. Il promit de prendre toute disposition pour réparer le tort fait à cette famille par l’un de ses soldats. Cependant lorsqu’il évoqua l’éventualité d’un conseil de guerre dont l’issue serait inéluctable, vu la gravité de la situation, Pommier manifesta son désaccord. Des morts, il y en avait bien assez par les temps qui courent. Il n’était pas bedeau pour rien, tout de même, et la perspective de ce dénouement insupportait le croyant qu’il était. Mais surtout, et plus prosaïquement, il avait pris le temps d’écouter longuement sa fille avant de venir et avait entendu tout l’intérêt qu’elle semblait porter au soldat de la falaise. En fait, il s’était même laissé aller à imaginer un dénouement heureux pour sa fille, même si en découvrant que le garçon était Noir, il avait été pris de court.
Bon. Colour mis fin à la confrontation, il en savait assez. On ne laisserait pas cette affaire traîner longtemps.
- Cher Monsieur Pommier, comptez sur moi ! Il briefa ensuite la secrétaire sur la nécessité d’un silence absolu concernant ce qu’elle avait entendu, ce qu’elle ne fit pas. Dans l’heure qui suivit, la petite équipe en poste à la villa n’eut pas d’autre sujet de conversation…

Une fois seuls, Colour retint Koko.
- Dites donc, Owens, vous vous rendez compte que vous pouvez pour commencer tirer un trait sur votre carrière dans l’US Army ?
Koko sourit.
- Et qu’en plus vous risquez votre peau ?
Le sourire de Koko s’élargit.
- Ha ben foutez vous de moi, mon ami ! Sans compter que, si j’ai bien compris, cette fille, vous l’avez peut-être engrossée, Seigneur ? Et les capotes, bon sang, vous ne connaissez pas ?
- Mon Général, si ça s’pouvait, pourquoi pas ?
Là, Colour resta interdit quelques secondes. Faut dire aussi que des soucis il en avait par-dessus la tête, pas besoin d’en rajouter. Surtout des comme ça, Seigneur !!!
- Bon sang, mais vous y êtes vraiment accrochée, à cette fille ? Mais c’est une infirme, elle est aveugle, et a-t-elle seulement réalisé qui vous êtes ?
Là Koko fixa Colour dans les yeux et se permit une liberté incroyable :
- Phillip, oui, je crois qu’elle sait qui je suis, et c’est exactement pour ça qu’elle est venue vers moi.
Colour resta muet quelques secondes, surpris par la tournure soudaine de l’échange.
Il fit alors mettre son ordonnance aux arrêts. Dans la cave de la villa. Ainsi Koko eut-il du temps pour jouer.

Bon. Là, il faut faire une pause. On sait que Charlie Owens était quelqu’un de tout à fait sérieux. On suppose que la femme qu’il avait rencontrée l’était elle aussi, du moins était-ce l’impression qu’elle lui faisait.
Le père, à présent : il portait un nom bien normand vu qu’il s’appelait Pommier. François Pommier. 55 ans. Ce n’était pas un mauvais bougre. Il était connu dans le bourg de Vierville, dont il était natif, à deux titres. D’abord, c’était le bedeau. Il était donc de toutes les messes, de tous les mariages et de tous les enterrements. D’autre part parce qu’il tenait dans le bourg l’unique atelier de réparation que l’on pouvait trouver à quinze kms à la ronde. A l’origine, François Pommier était charretier comme son père, dont il avait repris l’atelier, c’est à dire fabricant et réparateur de charrettes et autres engins agricoles. Au cours des années 30, il en vint à s’intéresser aux véhicules automobiles qui commençaient à se répandre. En 44, son atelier tournait toujours, même si les automobiles étaient devenues rares sous l’occupation. Il assurait donc surtout l’entretien des charrettes et tombereaux amenés par les paysans. De plus, il avait un excellent coup de main à la forge, réparant toutes les casses lorsqu’il y en avait. Il était aussi vraiment bon pour retremper l’acier des socs, faux et faucilles qu’on lui apportait. Même les menuisiers et les maçons de la région reconnaissaient son coup de main et lui confiaient leurs ciseaux et leurs burins à rafraîchir.
Ceci dit, le bureau de Poste de Vierville ayant été détruit le 6 juin par les canonnades des navires US, Pommier avait proposé son garage pour servir de dépôt de Postes aux américains. Donc plus d’église (elle aussi bombardée), son garage en partie occupé, son activité s’en trouvait considérablement réduite.
Mais surtout, Pommier aimait sa femme et plus que tout sa fille qui était pour lui et en même temps, sa joie et son plus grand sujet d’inquiétude. Ça avait été un rude coup au début d’accepter qu’elle serait définitivement aveugle. De fait, lui et sa femme n’eurent pas d’autre enfant.
Enfin il était amateur de jardinage, comme on le verra plus loin.


Dernière édition par T.Jiel le Ven 16 Juin 2017 - 12:09, édité 3 fois (Raison : i fais bedeau)
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Message par jb28 Jeu 15 Juin 2017 - 21:55

Décidément quelle belle plume tu as mon TJ. J'avoue que ça nous ferait très plaisir de te revoir à la maison du Blues mi-août comme suggéré par Michel (Bayou).
A publier, sans conteste (un éditeur, ça se trouve, même pour un petit tirage Very Happy )
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Message par T.Jiel Jeu 22 Juin 2017 - 21:36

Je continue donc mon monologue. Koko a épousé Lise, la fille de François Pommier, en pleine guerre! Urgence oblige, car vu d'un bout c'était ça ou la corde, même si de l'autre c'était quelque chose qui allait de soi! Phillip Colour,en  guise de cadeau de mariage...

...octroya trois jours à Koko avec deux billets aller-retour Mulberry I-Plymouth par les navettes hôpital, prétextant officiellement d’un gros problème dans l’équipement radio des Jeeps qu’il recevait en Normandie. Joli cadeau. Les mariés l’en remercièrent chaleureusement et prirent donc la mer le lundi matin.



Retour à Plymouth, donc, pour Koko. Une découverte totale pour Lise. Elle était là en territoire complètement inconnu, aussi ne lâchait-elle pas le bras de Koko qui prit direct la direction du "Waterloo" dès qu’ils mirent pied à terre.
C’était quand même marrant, parce que ces deux là se connaissaient à peine, et ne parlaient en plus pas la même langue. Sûr que Koko, depuis leurs premières rencontres, avait étudié de long en large le manuel du soldat débarqué en France avec beaucoup d’assiduité. «  Bonjour Madame, pouvez-vous me dire où se trouve le bureau de Poste le plus proche ? », Bonsoir Monsieur, où est la direction de Cherbourg ? » etc, ce genre de chose qui peut éventuellement dépanner, mais ne permet pas vraiment de faire connaissance. De son côté Lise était en général plutôt silencieuse, et il semblait bien à Koko que c’était dans son caractère. Au fond un peu comme lui finalement, ce qui fait qu’en matière de se découvrir, ils firent rapidement  la moitié du chemin. Je dis ça sans rire. Les gens qui parlent peu peuvent s’exprimer de multiples façons par ailleurs. Cela ne les empêchait pas soit dit en passant d’en faire souvent usage, de leurs langues, mais pas pour parler. D’ailleurs, à ce sujet, c’est Koko qui avait montré le truc à Lise, sur la Falaise. Elle débarquait complètement à ce moment là s’agissant de conversation amoureuse avec son corps. Ceci dit, elle ne mit pas longtemps à en tirer le meilleur. J’ai un peu évoqué combien sa mère lui avait fait découvrir le monde avec ses sens en premier lieu, bien avant les lois des hommes, et Lise était devenue une femme ouverte sur la vie, curieuse et d’humeur plutôt joyeuse et confiante. Bon, je ne vais pas en faire pour autant une grosse naïve un peu simplette. Elle était même tout le contraire.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’avec Koko elle était bien. Je ne vous dirai pas pourquoi, je n’en sais rien. Pour lui, c’était pareil. Là, on peut mieux comprendre, vu qu’il avait bouffé pas mal de vache enragée s’agissant du respect qu’on avait pu lui marquer depuis 29 ans qu’il brassait sa vie. Et là, avec cette fille, il était servi.

Lorsqu’ils poussèrent la porte du Waterloo, Twist ne mit pas longtemps à réagir :
- Hé, mais c’est Charlie, le joueur de Blues !!! Il appela son épouse et tous deux entourèrent Koko et Lise. Hé, mais c’est qu’il est accompagné, sacré Charlie, va ! Bon, ok, une femme aveugle… Comment, une française ? Une française de Normandie ?
Les Anglais n’avaient que ce mot à la bouche : la Normandie.
Lise souriait. De son beau sourire. Les Twist tombèrent dedans. Comme Koko avait fait. Oh mais c’est qu’ils venaient tout juste de débarquer ? Avaient-ils seulement mangé quelque chose ?
Koko eut quelque peine à abréger ce moment. C’est qu’ils étaient surtout fatigués. N’y aurait-il pas une chambre libre jusqu’au mercredi matin ?
- Mais bien sûr, fit Twist en décrochant une clé du tableau et en la tendant à Koko. La Chambre du Général !!
Et comme Lise et Koko disparaissaient dans l’escalier, Twist se tourna vers sa femme et lui fit un gros clin d’oeil bien appuyé, le visage fendu d’un large sourire.
Koko et Lise entrèrent dans la chambre et refermèrent derrière eux. A clé.
Seuls. Seuls ensembles. Enfin seuls ensembles. Oui, ils étaient réellement fatigués. Lise non plus n’avait pas le pied marin. Et puis toutes ces dernières journées n’avaient pas été particulièrement reposantes, n’est-ce pas. Koko dénoua sa longue natte. Puis ils firent ce que tous les amoureux font en pareille situation, et s’endormirent ensuite d’un coup ensemble dans le grand lit en fer.

Toc toc toc !!!
- …
Toc toc toc !!!
- Oui, qu’est ce que c’est ??, fit Koko du fond du lit.
- Charlie, petit déjeuner !, répondit la voix de Mme Twist derrière la porte. Je pose le plateau sur le sol !!
Koko enfila sa chemise, ouvrit et se saisit du plateau qu’il posa sur la table. Une grosse théière pleine, deux bols, des petits pains chauds, des tranches de bacon, et au milieu, quatre roses blanches dans un verre.
- Quatre roses, Koko, ils ont mis quatre roses avec le petit déjeuner ? De quelle couleur sont-elles ?
- Blanches.
- Quatre roses blanches ?
- Oui, et attend, il y a une petite carte avec… Four roses, Charlie, one for you, one for her, one for you love... and one for our frienship !
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
Koko, les yeux sur la carte, répondit lentement en fronçant les sourcils :
- Eune whoze peur moa, une whoze peur toua, eune whoze peur notwe ameur, eune whoze peur notwe heu… (là il chercha dans le petit dictionnaire du GI’s en France)  aymitiey.
Comme vous pouvez le constater, Koko faisait de réels progrès en français.
Lise éclatat de rire, puis dit :
- C’est trop gentil ! Ils ont l’air de bien t’aimer, ces gens là… Oh, Koko, comme je suis heureuse, tu sais. Dis, tu as une idée de l’heure ? Quel temps fait-il dehors ?
- Half past nine, Honey Liz !
- Montre-moi avec les doigts, fit-elle en lui prenant les mains. Un deux trois…, neuf ! Neuf heures… Dix, vingt trente… Ouah, neuf heures et demie. On a beaucoup dormi, non ?
- Nous fatiguey baoucow…
Lise rit.
- Il fait soleil, je le sens. Comment est le ciel, Koko ?
- Blue here, blue there, blue everywhere !, fit Koko penché à la fenêtre.
- Bleu partout !
Koko fit un rond entre ses lèvres et prononça :
- Bleuw, bleuw…
Et Lise rit encore.




Lorsqu’ils descendirent, les Twist assaillirent Koko de questions. Et comment ça se passait là-bas, ce n’était pas trop dur, les gars avaient le moral et tenaient bon, et les allemands prenaient la dérouillée ?? Oui, Koko confirma. Ça ne marchait pas trop mal pour nous. Paris était libérée, allez, d’ici l’hiver et à ce train, on lui ferait avaler les poils de sa moustache, au Hitler ! Mais au début, ça avait été dur. Les allemands s’étaient vigoureusement accrochés.
- Mud. Vous vous souvenez de Mud Blueland ?
Oui, ils s’en souvenaient parfaitement. Ha, le pauvre, devant Cherbourg ? Rude bataille, Cherbourg, n’est-ce pas ? Oui, Cherbourg avait coûté cher…
Les Twist observaient Lise à la dérobée durant tout cet échange. Ha bon, sur les falaises d’Homaha Beach. Comment, c’est pas vrai, et vous vous êtes mariés ?
Koko partit d’un éclat de rire :
- C’est son père à elle et le Général qui ont organisé ça… En fait, je ne sais pas comment, mais ça s’est su très vite… J’étais bon pour le conseil de guerre…
Lise, debout à côté de Koko, souriait. Elle ne comprenait pas l’échange et en suivait donc la musique. Blind, elle avait appris ce mot.
- Oh, she’s really blind !!??
Mme Twist prit doucement Lise par l’épaule. Oui, aveugle. Elle ne voyait pas. Mais elle voyait avec d’autres yeux, comme vous savez.
- Mr Twist, puis je vous demander quelque chose ?
- Vas-y mon garçon, n’importe quoi !!
- J’aimerais emmener Lise au jardin aujourd’hui…
L’oeil de Twist brilla.
- Pas de souci, Charlie.
Il alla dans la cuisine et en revint avec la clé du cabanon.
- Mais si vous passez un moment là haut, vous ne serez pas là pour déjeuner !! Je vais vous préparer un panier.
- As-tu ta guitare avec toi, Charlie ?, demanda Twist.
Non, il ne l’avait pas amenée. Mais serait-il d’accord pour jouer un peu ce soir dans la salle ? Twist connaissait un boy qui en avait une et jouait de temps à autre ici certains soirs.
- Mais il faudrait des cordes métalliques, hein, a-t-elle des cordes en métal, cette guitare ?
Twist ne savait pas. Il allait se renseigner. Le gars passait souvent avant le déjeuner.

Lise et Koko partirent à pied, passèrent derrière l’établissement et retrouvèrent rapidement le chemin qui montait jusqu’au jardin.
Une fois sur place, Lise sentit les lieux. Elle fit lentement le tour du jardin avec Koko. Elle le reconnaissait. Les arbres étaient chargés de fruits. Pommes, poires, prunes… Ça débordait de tous les côtés, les Twist avaient manifestement un peu de mal à suivre le rythme de la nature cet été là. Koko cueillit une pomme et la donna à Lise. Une reinette rouge et jaune. Elle avait juste le goût du moment. Lise souriait :
- Oh, Koko. Koko.
Ils s’étreignirent.
Puis Koko lui fit visiter la cabane. Une odeur de bois et de fruits. Lise en apprécia la propreté. L’intérieur était net. Mme Twist, sans être une angoissée du ménage, entretenait avec soin leur petit paradis.
Le ciel se maintint au bleu toute la journée. Ils firent la cueillette des haricots, emplirent deux sacs de pommes et de poires (Twist l’avait demandé à Koko comme un service), puis redescendirent sur la fin de l’après-midi.

- Grand merci pour les fruits, Charlie. Excellente idée, les haricots. Je n’ai pas eu le temps de monter là-haut dimanche dernier.
Le pub était déjà animé. Twist avait fait circuler la nouvelle de leur arrivée, et quelques habitués des soirées du printemps étaient venus. De ceux qui étaient restés cantonnés en Angleterre.
Koko dut encore répondre à tout un tas de questions et raconter. Pauvre Mud. Les uns et les autres se souvenaient bien de Mud et de ses harmonicas. Putain de guerre !

Le soir, ce fut haricots frais et mouton. Puis la corbeille de fruits. Le gars arriva avec sa guitare dans la soirée. Une guitare élevée à la musique du pays. Le gars était un Blanc de l’Iowa. Un peu de réticence se lisait au début dans ses yeux. Mais Twist s’était tellement porté garant de son musicien que l’autre s’était laissé faire. Mais quand même, il aurait bien aimé qu’on lui dise que le gars était Noir.
Koko se saisit de la guitare, en modifia l’accordage. L’autre ne le quittait pas des yeux. Putain, il va me péter une corde ! Accord ouvert de sol, pas trop de risque avec ça. Enfin, plutôt une espèce d’accord ouvert de sol. Le gars essaya de suivre ce que Koko faisait, mais au bout d’un moment il n’y était plus. Je crois que Koko non plus. Il accordait à l’oreille spécialement pour ce moment là. Il sortit ensuite son couteau de sa poche. Et c’est là qu’un des Blacks du printemps l’interpella :
- Tiens mon frère, ça ira peut être mieux avec ça ! Et il tendit un goulot de bouteille qu’il avait façonné dans l’après-midi pour Koko. Cette histoire de couteau en avait fait marrer plus d’un. Ce n’est pas qu’avec le manche du couteau ça ne marchait pas, mais avec un bottleneck le son serait bien plus clair et puissant.
Et Koko commença à jouer. Au début ils n’étaient que quelques uns autour à écouter. Le brouhaha dans la salle baissa d’un cran, sans s’arrêter pour autant.
Fond sonore, musique d’ambiance.
Lise était assise tout près à une table et écoutait. C’est lorsqu’elle commença à chanter avec Koko que les gens se turent. Ouah, saisissant. Les paroles, elles ne les connaissaient pas, ou juste quelques mots qu’elle avait finis par attraper par ci par là. Mais elle avait déjà mémorisé une bonne partie des airs que Koko prit ce soir là. Et même lorsqu’il improvisait les histoires, elle le suivait quand même.
Les Twist étaient sous le charme. L’assemblée avec. Koko joua ainsi pendant plus d’une heure. Lorsqu’il s’arrêta, un tonnerre d’applaudissements couvrit aussitôt les dernières notes. Même le gars de l’Iowa n’en revenait pas. Les gens s’approchaient, ils voulaient voir de plus près. Ce Noir et son Blues, et cette femme qui avait chanté avec lui.
- Ça l’a bien fait, avec le goulot de bouteille, mon frère, merci !
- Tu le gardes, c’est pour toi !
Twist offrit une tournée générale. Une belle soirée. Plus d’un en s’endormant ce soir là avait encore dans les oreilles des bouts de ce qu’ils avaient entendu au Waterloo. Des bouts du pays, bien sûr, ça fait toujours du bien, mais des bouts de rêves aussi. Et ça, c’était nourrissant.
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Message par Invité Ven 23 Juin 2017 - 8:48

Je vois que tu m'a rétrogradé Mister T. mais  tu le fais avec tellement de talent que je ne peux pas t'en vouloir... Smile
Je suis impressionné par les détails de ton récit, c'est d'une précision redoutable.Cool
J'espère que tu as fait des sauvegardes de tout ceci au cas où le forum viendrait à planter un jour...  Crying or Very sad

Et... " François Pommier " fallait la trouver celle-là. Very Happy

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Message par T.Jiel Ven 23 Juin 2017 - 9:26

T'inquiètes, je sauvegarde, je sauvegarde!! Wink
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Message par Jungleland Ven 23 Juin 2017 - 13:19

quelle verve littéraire ! cheers
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Message par T.Jiel Jeu 29 Juin 2017 - 21:02

Bon, j'avais écrit que je terminerai fin juin. Ben non, c'est foutu, je vais être à la bourre sur ce coup là aussi. Je n'ai même encore fini d'écrire l'histoire!!! Donc, allez, je déborde sur juillet, tout en sautant encore des épisodes... Wink

1945. Janvier, puis février passèrent. La guerre, au loin, continuait. Les Ardennes avaient été franchies, les alliés s'apprêtaient à passer le Rhin. Fidèles à leur stratégie, ils bombardaient de manière intensive et aveugle les grandes villes allemandes. Berlin, Dresde étaient des champs de ruines. Des centaines de milliers de morts. A l'Est, l'Armée Rouge entrait à Varsovie, après avoir laissé les nazis en massacrer la population qui s'était soulevée. Ce fut aussi la conférence de Yalta (4 février) durant laquelle Roosevelt, Churchill et Staline se partagèrent en secret l'Europe d'après-guerre, laissant le champ libre à la dictature stalinienne dans tout l'Est du continent, et trahissant cyniquement en même temps tous ceux qui avaient combattu à leurs côtés, courageusement et sans s'épargner, pour libérer leurs pays du joug hitlérien. Les polonais, entre autres. Ceci dit entre nous, hein, durant tout ce XXème siècle noir et sanglant, c'est bien celui qui se faisait appeler "le Petit Père des Peuples », Joseph Staline, qui a décroché la médaille de plus grand criminel de l'Histoire, loin devant le petit moustachu excité. Il est vrai qu'il disposa de deux fois plus de temps.
Ce début 1945, dans le chapitre des horreurs, ce fut aussi la découverte et la libération par les russes du premier camp d'extermination : Auschwitz.



En Normandie, la Manche et le Calvados s'était transformés en une immense base arrière. Allaient et venaient des véhicules et des troupes partout sur les routes et les voies ferrées lentement remises en état, des camps avaient poussé comme des champignons, des aérodromes, des parcs de stockage. La population retrouvait lentement ses marques au milieu de tout ce tumulte. De nouvelles marques, car rien ne serait plus comme avant. On était là à un tournant de l'histoire, comme on dit. Un tournant où se rencontraient la Grande et la petite histoire.
Parce qu'il y a la Grande Histoire, celles des "Grands", et la petite, celle des petits. Cette dernière étant de loin la plus intéressante, parce que c'est là qu'est la vie.

A Vierville, Villa Mon Plaisir, on continuait d'alimenter les Corps d'Armées en EE8B et autres SCR 299, sans oublier les indispensables chaussettes du messager fantassin, bien sûr. Phillip Colour y voyait à présent beaucoup plus clair, et se surprenait de temps à autre à songer à son jardin de New Rochelle. Lise Owens, oui, elle s'appelait Owens à présent, en était à son septième mois de grossesse. Son ventre s'était spectaculairement arrondi, poussant vers l'avant :
-  Cu piot là ça s'ra un 'tit gâ !, avait prédit la grand-mère.
"Gâ" ou fille, Koko et Lise n'en avait cure, au fond. L'enfant serait le bienvenu, c'est tout. Ils se découvraient à présent. On ne construit pas une vie sur des airs de guitare, même si ça aide. Lise avait fait savoir à Bayeux qu'elle quittait définitivement l'atelier des dentelles. Quel avenir alors s'ouvrait à elle ? Tout d'abord elle serait maman, bien sûr. Puis vivre aux côtés de son "soldat de la falaise" lui semblait un programme riche de promesses. Je disais qu'elle n'avait jamais connu d'homme avant Koko. De fait elle ne comprit qu'il avait quelque chose de différent qu'au fil des semaines qui suivirent leurs premières rencontres. Et encore, ce sont ses parents qui lui apprirent. Koko troublait apparemment les gens autour d'elle et elle ne voyait pas vraiment pourquoi. Elle, ce qu'elle connaissait de cet homme, c'était le timbre de sa voix lorsqu'il chantait ou qu'il lui parlait. C'était la douceur de ses mains lorsqu'il la touchait. C'était la force de son corps à lui lorsqu'elle le touchait. C'est ce qu'il répondait lorsqu'elle lui parlait, enfin qu'il serait le papa de l'enfant qu'elle portait. Leur enfant.
Et c'était déjà beaucoup.
Koko, au fil des mois qui suivirent l'été 44 et passé l'émotion qui le secoua lors de ses premières rencontres avec Lise, lui avait simplement ouvert en grand sa porte. Pas n'importe laquelle, celle de derrière. Dans le Blues, lorsqu'il est question de "backdoor" (porte de derrière), c'est qu'on entre dans l'intime. Les textes dans le Blues sont truffés de sens au second voire au troisième degré, comme dans la vie de tous les jours du reste, si on regarde bien. Tout se lit à plusieurs niveaux, il y a la surface des choses, et le dedans. J'en ai déjà parlé s'agissant des malvoyants et de leur faculté à pénétrer sous la surface des choses.
Koko était bien lorsqu'il se trouvait avec Lise. C'était une femme qui le comblait de toutes sortes de façons. Il aimait sa présence, le son de sa voix, sa gaieté, le recul qu'elle portait sur les événements de la vie de tous les jours (elle qui vivait au jour le jour), son corps bien sûr. Lise dans l'amour, c'était un voyage qui l'emmenait autrement plus loin que les whiskies de Colour, que la goutte de Pommier. Et il aimait déjà l'enfant qu'elle portait. Leur enfant.
Et c'était déjà beaucoup.
Tout ceci étant assez pour commencer une histoire, une petite histoire, la leur.



Le printemps enfin fut là. Le printemps, en Normandie, c'est toujours quelque chose d'incroyable. Tout se transforme en quelques semaines. La vie rejaillit de tous côtés. Ce printemps là à Vierville sur Mer en particulier, car Lise accoucha le 23 avril au petit matin. Le docteur n'eut pas à intervenir. Il avait suivi la grossesse avec attention. Il était même passé dans la soirée, le travail se faisait lentement.
-  Venez me chercher quand ce sera le moment, avait-il finalement dit en repartant vers d’autres urgences. Et on se passa de lui. Marie Pommier avait demandé de l'aide à sa sœur (elle avait eu six enfants), cette musique là, elle connaissait ! Les deux femmes avaient préparé la grande chambre de l'étage. Koko et François Pommier quant à eux étaient relégués dans la cuisine avec interdiction de déranger. Ils étaient chargés de maintenir et renouveler une grande casserole d'eau tiède à température sur le fourneau et de monter des bassines lorsqu'on leur demandait. De temps à autre des éclats de voix lointains, et les cris de Lise. Deux fois Koko était monté, il lui avait pris les mains, et Lise dont le visage était marqué par l'effort et la douleur, lui sourit pourtant à chaque fois. Les deux hommes, dans l'impatience de cette inactivité forcée, avaient prolongé le temps de l'après café :
-  Tu sais que j't'aime bien, au fond, mon gendre ?, fit Pommier le regard un peu vague.
-  Au fond ? Au fond de quoi, François ?
-  Ha ha, tu es trop drôle, allez tiens, je t'en remets un p'tit verre par là.
Non, ils n'étaient pas frais, aurait dit ma mère. Quand soudain, comme trois heures pile sonnaient à l'horloge, la voix fébrile de Marie se fit entendre depuis le haut de l'escalier, suivit aussitôt d'un cri :
- Françoué, 'est un gâ, 'est un gâ !!!!
Mais c'est Koko qui fut le premier là-haut. Il grimpa les marches deux à deux, passa devant sa belle-mère et entra. Il y avait eu bataille. Des bassines d'eau rougie sur la commode et sur le plancher. Du sang, des larmes, et sa Lise au milieu, allongée au fond du lit, vidée mais radieuse. Et là, entre ses mains, oui, là…
Elle tenait sur son ventre comme une petite pomme toute fripée, de celles que Pommier gardait dans son grenier jusqu'en janvier. Koko n'avait jamais vu ça. C'était bien un garçon.
-  Tu vois, Koko, il sera chanteur, lui souffla Lise en souriant lorsqu’il fut auprès d’elle.
-  Seigneur Dieu, c'est vrai qu'il a de la voix, s'écria François Pommier, ravi, arrivé sur les talons de son gendre.
-  Allez, oust, les hommes, dehors ! fit Marie en les poussant sur le palier, on n'a pas besoin d'vous ici pour l’instant ! Occupez-vous de l'ieau en bas !
Ils retrouvèrent donc la table de la cuisine et la casserole d’ « ieau », et finirent courageusement le cruchon de goutte.
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