Richard 'Hacksaw' Harney

Richard 'Hacksaw' Harney, né à Money (comté de Leflore - Mississippi) en Juillet 1902, grandit au sein d'une famille de dix enfants. Sa mère décède après la naissance du onzième.
Tous s'installent d'abord aux environs de Greenwood, puis à Marvel (Arkansas)

Le père, Dick Harney, très porté sur la musique dès son plus jeune âge, se détourne de sa version profane pour mieux servir l'église, une fois adulte. Il devient un peu plus tard diacre, mais enseigne néanmoins à ses fils la pratique du violon, de la mandoline, de la guitare, de la contrebasse, du piano et de l'orgue, ainsi que l'art de jouer en formation.
Il leur permet même d'aller s'exercer ensemble aux coins des rues pour se faire leur argent de poche. Cependant, aucun d'eux n'est autorisé à pratiquer cette musique du 'diable' à la maison.

A douze ans, le jeune Richard commence ainsi sa carrière de musicien de rue, dans un premier temps comme accompagnateur de son frère Joe.
Durant toute son adolescence, Richard  recherche l'harmonie du corps et de l'âme, ce qui l'incite aussi bien à pratiquer la boxe ou le travail agricole que la musique.

Le début des années 20 le voit jouer de la contrebasse dans un orchestre de jazz basé sur Cincinnati, et lorsqu'il retourne dans le Delta, c'est pour se produire comme guitariste, avec son grand frère Maylon.

Leur duo, baptisé 'Pet & Can' (une allusion à leurs petits noms respectifs), enregistre, le 10 Déc 1927, deux faces chez Columbia, comme accompagnateurs de Walter 'Pat' Rhodes, accordéoniste et chanteur de blues.
Et deux jours plus tard, deux autres faces sont encore gravées avec la chanteuse Pearl Dickson, rencontrée par hasard errante dans une rue de Memphis.

Malheureusement, son frère Maylon est assassiné par arme blanche, dans un juke-joint où le duo se produisait, les privant de la reconnaissance artistique qu'ils méritent.
Richard confiera beaucoup plus tard que ce tragique événement l'a en quelque sorte contraint à se surpasser niveau interprétation, puisqu'il lui fallut dès lors se débrouiller à jouer seul les deux partitions de guitare.

Le style assez unique de Richard Harney n'était pas le reflet d'une influence musicale particulière, cependant lui-même reconnaît que Blind Lemon Jefferson et Charlie Patton furent ses interprètes favoris. Il les a rencontrés et même parfois joué avec eux. Les enregistrements de Blind Blake l'ont aussi influencé.

Robert Lockwood Jr a dit d'Harney qu'il avait bien connu Robert Johnson, Harney ayant eu une influence majeure sur Johnson, du fait qu'il était le seul musicien qui pouvait rivaliser avec lui.

Tout au long de sa jeunesse, il semblerait que seuls son défaut d'élocution et la nette timidité de Richard furent responsables de son manque de reconnaissance publique.
Ceci étant, il a malgré tout continué à jouer de différents instruments, pour son propre plaisir et celui de ses amis.



Pour subsister, Harney se forme au métier d'accordeur et réparateur de piano.
D'abord itinérant, il parcourt de long en large les états du Mississippi, de l'Arkansas & du Tennessee.

Il se base d'abord à Clarksdale, ensuite à Jackson, tout en maintenant un circuit régulier entre Memphis et la région du Delta. Plus tard encore, il s'installe à Memphis, et continue ses déplacements, parfois aussi loin que St Louis ou Chicago.
Son épouse et ses enfants vivaient à Jackson (Miss) où Harney passait les visiter chaque quinzaine. On lui connaissait au moins trois adresses différentes.

En pratiquant un tel métier, inévitablement les rencontres artistiques furent nombreuses et c'est bien souvent que ces musiciens lui demandèrent s'il voulait bien jouer une ou deux chansons de son propre répertoire. Et si son zézaiement paraissait parfois ridicule à certains d'entre eux, sur le plan de la dextérité instrumentale, Richard pouvait en revanche en remontrer à quiconque.
Ainsi, au cours des années qui suivirent, Harney devint de plus en plus populaire dans le milieu musical.

Big Joe Williams fut l'un de ses plus ardents défenseurs, déclarant que les meilleurs guitaristes en vogue, dans les années 60, dont Johnny Shines, Honeyboy Edwards, Henry Townsend, George & Ethel McCoy (neveu et nièce de Memphis Minnie) et lui-même, n'étaient rien à côté de 'Hacksaw'.

Son sobriquet lui vint de la scie qu'il transportait dans sa caisse à outils d'artisan (probablement une insinuation en rapport avec son zézaiement#).


En tant qu'artiste, Richard 'Hacksaw' Harney passe toutefois une grande partie de sa vie dans une relative obscurité, jusqu'à ce que les chercheurs folkoristes, avertis de l'estime profonde dans laquelle la plupart de ses collègues musiciens le tiennent, finissent par le retrouver à Memphis, vers la fin des années 60.  

C'est Dewey Corley, un membre survivant du 'Beale Street Jug Band', ainsi que Mrs Van Hunt, chanteuse de blues et emblématique 'mère poule' de la fameuse rue memphisienne, qui renseignent les gens d'Adelphi Records à son propos.

A l'occasion de l'enregistrement des albums 'The Memphis Blues again' (Vol 1 & 2, parus en 1971), le label réussit enfin à mettre la main sur l'accordeur de piano, comme à son habitude toujours par monts et par vaux. Et c'est ainsi qu'en Octobre 69 ce talentueux guitariste est pour la première fois filmé.  



Un silence respectueux suit son interprétation de 'Sweet Man'. Réconforté et encouragé par chaleur d'un tel plébiscite, 'Hacksaw' se lance ensuite dans d'autres compositions. Ce jour-là, il confiera qu'il n'avait pas touché une guitare depuis presque 20 ans.

Comme suite logique à cette prestation, il fait partie des sessions d'enregistrement de la double compilation, regroupant une petite variété d'artistes locaux, et où deux morceaux lui sont consacrés.

L'un à la guitare :


et le second au piano


Car  'Hacksaw' Harney n'était pas seulement un brillant guitariste de ragtime blues, dans une veine assez proche du style Piedmont, et dont le finger picking s'avérait aussi mélodique que complexe et véloce, il était aussi un pianiste doué.


En Février 1972, Adelphi Records enregistre encore 10 autres titres de Richard, lesquels parurent beaucoup plus tard (1996) sous forme d'un album solo, tout naturellement intitulé 'Sweet Man'



Quelques extraits :








En Août 1971, 'Hacksaw' se voit accueillir par la plupart des ateliers de la ville. On le retrouve ensuite sur la scène du 'Wolf trap farm park' (Washington DC), comme tête d'affiche, à l'occasion du 33ème festival folk de la 'Smithsonian Institution'.

En Décembre de la même année, il participe au 'River City Blues festival' de Memphis, à l'égal de Bukka White, Houston Stackhouse, Fred McDowell, Sleepy John Estes, & Furry Lewis.

A partir de 1972, il tourne en duo avec son compère du 'King biscuit boy', Houston Stackhouse, dans les universités de l'Illinois, du Massachusetts et de l'état de New York. Grâce à leur talent, leur modestie, et leur simplicité, les deux partenaires gagnent l'amour du public, partout où ils se produisent .


(Houston Stackhouse & Richard 'Hacksaw' Harney)

Au début de l'année 1973, la santé de 'Hacksaw' se détériore brutalement, aussi doit-il abandonner les tournées.

Richard Harney décède à Jackson, le 25 Décembre 1973, des suites d'un cancer de l'estomac.


Un autre court extrait live, en guise de dernier hommage :






*** Résumé et traduction libre des propos tenus par Denise Tapp, sur l'album 'Sweet Man', ainsi que des notes de Steve LaVere, figurant à l'intérieur du Volume 2 de la compilation 'The Memphis again'


#: Il s'agit-là d'une supposition toute personnelle

Un vrai bonheur de découvrir un artiste aussi talentueux je te tire mon chapeau Flovia pour nous avoir fourni une aussi superbe chronique   

J'adore cette façon de faire rouler les basses et de jouer la mélodie avec autant de talent

Quel boulot    merci Flo, comme toujours au top   

+1 avec Jipes   

Oui, sacré talent méconnu que ce Richard Harney !
Bravo et merci Flo !   

Floflo elle bosse encore plus le 1er Mai. :-) Beau boulot, comme d'hab.

Jipes a écrit: 
J'adore cette façon de faire rouler les basses et de jouer la mélodie avec autant de talent

Ah oui, j'aime également beaucoup! Il était fort aussi, côté enchaînements.